Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jouir de la fête. Un peintre, Piero di Cosimo, avec ses amis, en arrange une autre toute lugubre, le triomphe de la Mort, un char tiré par des bœufs noirs, sur lesquels on a peint des crânes, des os, des croix blanches, sur le char une figure de la Mort avec sa faux, dans le char des sépulcres d’où sortent des gens habillés en squelettes, et qui, aux reposoirs, entonnent un hymne funèbre. — Entre cinquante fêtes semblables, lisez celle que décrit Vasari et qui signala le commencement du siècle ; jugez par son éclat, comme par ses détails, des goûts pittoresques qui remplissaient alors tous les cœurs. Il s’agissait de célébrer l’avènement du pape Léon X, et Laurent de Médicis, voulant que la compagnie du Broncone, dont il était le chef, surpassât en magnificence celle du Diamant, avait chargé Jacopo Nardi, « noble et savant gentilhomme, » de lui composer six chars. Le Pontormo les avait peints, Baccio Bandinelli les avait décorés de sculptures ; tout l’art et toute la richesse de la ville, toutes les inventions et toutes les recherches du luxe et de l’érudition récente, toutes les images et tous les souvenirs de l’histoire et de la poésie antiques avaient contribué à les embellir. Des coursiers harnachés de peaux de lions et de tigres, avec des housses en drap d’or, avec des croupières en cordes d’or, avec des brides tressées d’argent, s’avançaient en long cortège ; derrière eux suivaient des génisses, des mules superbement caparaçonnées, les formes fantastiques, ou monstrueuses des buffles déguisés en éléphans et des chevaux travestis en griffons ailés. Des bergers vêtus de peaux de martre et d’hermine et couronnés de feuillage, des prêtres en toges antiques portant des candélabres et des vases d’or, des sénateurs, des licteurs, des cavaliers couverts d’armes éclatantes, étalant des faisceaux et des trophées, des jurisconsultes à cheval vêtus de longues robes, entouraient les chars où les grands personnages de Rome apparaissaient parmi les insignes de leur dignité et les monumens de leurs exploits. Par leurs fières nudités, leurs vaillantes attitudes, leurs nobles draperies flottantes, les figures peintes et sculptées imprimaient un accent encore plus païen dans cette procession païenne, et enseignaient l’énergie et l’allégresse à leurs compagnons vivans, qui, aux sons des trompettes, aux acclamations de la foule, s’étalaient à cheval ou sur des chars. Ce généreux soleil qui luisait au-dessus de leurs têtes revoyait enfin un monde pareil à celui qu’il avait éclairé jadis à la même place, je veux dire le même sentiment profond de joie naturelle et poétique, le même épanouissement de force saine et complète, le même souffle d’éternelle jeunesse, le même triomphe et le même culte de la beauté. Et quand après avoir contemplé ce large déploiement de splendeurs et d’armures parmi le chatoiement des étoffes