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enfin, le garder dans mon cœur, — il ne périra qu’avec lui ! »

Les liens du sang sont tellement forts chez les Serbes que la sœur semble dans quelques chants préférer l’amitié fraternelle à l’amour. Dans la vie orientale, le frère exerce l’autorité du père mort sur la fille, dont la tendresse pour le compagnon de son enfance est toujours mêlée de déférence et même de respect. Aussi quelques pesmas mettent-elles résolument la sœur au-dessus de l’épouse. Une légende exprime cette manière de voir avec une singulière énergie. Iovan s’est brisé la main ; la vila promet de le guérir à la condition que sa mère donnera sa main droite, sa femme son collier de perles, et sa sœur la parure de sa tête. La sœur sacrifie volontiers sa parure, mais l’épouse refuse le collier. — L’histoire de la « jeune épouse de George » n’a pas une signification moins claire. Au retour d’une expédition, elle accourt sur le rivage de la mer pour voir si elle trouvera parmi les braves les trois hommes qu’elle appelait « ses biens, » son mari, son dévèr et son frère. Aucun d’eux n’étant revenu, elle s’abandonne au désespoir. Pour George, elle coupe ses cheveux ; pour le dévèr, elle déchire son visage ; pour son frère, elle perd les yeux. Les cheveux repoussent, les blessures s’effacent, mais les yeux ne revoient plus la douce lumière du ciel, et le cœur ne peut se consoler de la perte d’un frère.

La poésie nous montre cependant ailleurs comment les sœurs apprennent parfois à apprécier à sa juste valeur cette amitié fraternelle qui leur avait paru d’abord plus solide que toutes les autres affections. Une sœur écrit à son frère qu’elle est esclave des Turcs, et qu’il faut un peu d’or et quelques perles pour la racheter. Le frère répond philosophiquement qu’il a besoin d’or pour la bride de son cheval (trait essentiellement oriental) et de perles pour le collier de sa belle. La sœur, sachant à quoi s’en tenir sur les illusions de sa jeunesse, se contente de lui dire : Je ne suis pas esclave des Turcs, mais je suis leur tsarine. Un autre chant, encore plus pressé de faire la leçon aux « pauvres folles » qui pensent qu’il n’y a rien « de plus cher qu’un frère, » affirme sans hésitation que de même que le ciel est plus vaste que la mer, « l’amant est plus cher qu’un frère. » Militza est tellement de cet avis que son amour pour Ranko lui est, dit-elle, « plus cher que quatre frères. »

Les pesmas semblent aussi s’être proposé de populariser quelques axiomes qui peuvent aider les jeunes filles à distinguer les amans sérieux de ceux qui prétendraient abuser de leur simplicité. « Comme gage d’amour, on donne une pomme, — comme parfum se donnent les basilics, — mais l’anneau ne se donne que comme fiançailles. » L’anneau est donc un signe expressif qu’il faut bien se garder de confondre avec cette fameuse pomme verte « mordue avec