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n’est-ce pas trop oublier les lois de la raison et les principes sans lesquels elle flotte comme un navire privé du gouvernail et de boussole ?

Ce qui vient d’être dit suffit à réfuter la théorie néoplatonicienne des hypostases. On n’y insistera pas davantage. Arrêtons-nous un peu plus longtemps sur l’acte par lequel Dieu, chez Proclus, engendre son premier produit, parce que là nous rencontrons Hegel et tous les panthéistes modernes. Je ne sais si le problème de la création sera jamais scientifiquement résolu. Peut-être quelque jour le vol plus puissant des facultés humaines les portera-t-il jusque dans les profondeurs de ce mystère. En attendant, la circonspection de l’école spiritualiste, qui se borne à dire que Dieu est le créateur de l’univers sans prétendre savoir comment il le crée, a sur l’audace des panthéistes l’avantage d’éviter des explications incompréhensibles qui n’expliquent rien et propagent les chimères. N’est-il pas provisoirement plus sage de réserver le problème que d’adhérer par exemple à la théorie hégélienne ? Dans un travail clair et nerveux, M. Paul Janet a soigneusement analysé la dialectique de Hegel, sondé le principe d’où elle part et démontré que ce principe est stérile, et impuissante la méthode qui se flatte de le féconder. Cette discussion n’est pas à recommencer. On nous permettra seulement d’indiquer dans Proclus les origines du procès hégélien, c’est-à-dire de ce développement par lequel l’être indéterminé devient successivement tous les êtres de l’univers. De frappantes analogies, mêlées, il est vrai, de notables différences, rapprochent en ce point Hegel et Proclus.

Dans ses Leçons sur l’Histoire de la Philosophie, Hegel donne des éloges à Plotin ; mais il lui préfère Proclus, dont la méthode lui semble moins arbitraire, moins chargée de métaphores, plus systématique, plus régulière et plus conforme à la dialectique de Platon. Il est certain que toutes les fois que Plotin a tenté d’expliquer le passage du premier principe aux êtres qui émanent de lui, il s’est borné à accumuler de brillantes images. C’est tantôt un vase trop plein qui déborde, tantôt le rayonnement d’une lumière qui s’échappe de la cause sans troubler sa quiétude, tantôt quelque chose de pareil à des parfums qui, tant qu’ils durent, embaument de leurs exhalaisons tout ce qui les entoure. Proclus, que M. Cousin a bien nommé l’Aristote de l’école d’Alexandrie, rejette, lui aussi, ou croit rejeter les métaphores de Plotin, comme Aristote dédaignait celles de Platon. Il reste néanmoins à savoir si ce qu’il apporte vaut mieux que ce qu’il élimine. La grande difficulté du système des émanations est de rendre fécond le premier principe, qui n’est que l’unité abstraite, sans plus, et d’en tirer des existences.