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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/391

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faire et ne s’en soucient pas. Pourquoi la Providence les leur donnerait-elle ? Elle ne leur doit que des instrumens et des occasions de vertu. Au lieu d’avantages purement apparens et souvent dangereux, elle leur envoie des épreuves qui secouent leur âme, stimulent leur intelligence, leur apprennent à mépriser le corps et à mesurer exactement la grandeur de la vertu. D’un côté elle démasque à leurs yeux les faux biens dont l’aspect trompeur pourrait les séduire, d’un autre elle leur montre la vraie beauté. Quant aux hommes pervers, ils désirent ardemment et poursuivent sans relâche le bonheur apparent : eh bien ! la Providence leur accorde ce qu’ils désirent, et les punit en le leur accordant. Ainsi chacun obtient le lot qu’il mérite : le sage, la vertu avec ses fruits excellens ; le méchant, le succès et les richesses avec toutes les tentations et les angoisses qui y sont attachées.

Voilà une des faces de l’optimisme de Proclus. On ne peut s’empêcher d’y admirer, au milieu de quelques subtilités, un profond sentiment de la liberté humaine et une haute conception de la justice divine. Il serait trop long de suivre cette conception dans les conséquences nombreuses et variées que le philosophe en a déduites. Ce que nous en avons dit suffit à notre dessein, qui est de montrer Proclus abandonnant avec éclat, et néanmoins à son insu, l’impuissante méthode de l’alexandrinisme. Ouvrez en effet les flancs de l’unité néoplatonicienne, fouillez-en hardiment les gouffres, car c’est un abîme : vous y trouverez l’unité et encore l’unité, la morne unité de la nuit sans lumière, du vide sans fond, du rien sans limites ; mais la vie divine puissante et féconde, mais la cause agissant d’une énergie inépuisable et éternelle, ne l’y cherchez pas. Dans ce désert, rien ne vit, n’existe, ne palpite à aucun degré. Et la preuve, c’est que pour y retourner, pour y remonter, pour reconquérir ce ciel perdu, savez-vous ce qu’il faut que l’âme fasse ? Il faut qu’elle s’enlève à elle-même, une à une, toutes ses facultés, comme on dépouille un à un ses vêtemens, qu’elle dépose successivement toutes les formes de sa vie, qu’elle arrive à un hébétement complet, et qu’ainsi elle devienne enfin semblable à l’unité mathématique, à ce rien logique que l’arithméticien ajoute à lui-même lorsqu’il forme des nombres abstraits. Parvenue jusque-là et à cela réduite, l’âme est en extase, elle est sans conscience, sans détermination ; elle est semblable à Dieu ; bien plus, elle est Dieu. Or, si le dieu de Proclus est ce qu’est l’âme quand elle devient cela, qu’y a-t-il de commun entre lui et cette Providence qui prévoit l’avenir, connaît d’avance les destinées, est présente à titre de bien dans l’universalité des êtres, rend à chacun selon ses mérites, éprouve et récompense le sage, comble et châtie le pervers, et par un surcroît de délicate et maternelle justice ajourne parfois le châ-