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déjà impossible après l’affaire du collier, et elle l’était bien plus encore au seuil de 1780. Alors les événemens se précipitent. De tous ceux qui ont harcelé la reine, les uns passent dans le camp ennemi, les autres se dispersent étourdiment comme un vol d’oiseaux effarés, et Marie-Antoinette reste seule à côté du roi pour faire face à l’orage et mourir.


II

Alors en effet au coup de foudre de 89 s’ouvre la vraie tragédie dont le règne de Louis XVI n’est que le prologue, — le grand et terrible duel de la société nouvelle qui fait explosion et de cette royauté trahie par les siens, plus qu’à demi vaincue dès le premier choc, réduite à se traîner à travers les capitulations et les expédiens inutiles. On la sent venir, cette révolution, « au pas redoublé, » suivant une expression énergique, puissante de sa propre force, plus puissante encore de la force que lui donnent les vaines résistances, et, comme la plupart des révolutions, elle s’accomplit par l’impossibilité où est la monarchie d’aller plus loin, même matériellement. Ce sont les embarras financiers qui conduisent à l’assemblée des notables, aux états-généraux, à tous ces palliatifs des ministères de Calonne et de Necker ; seulement le jour où la brèche est ouverte, c’est l’inconnu qui fait irruption, et l’inconnu ici, c’est le 14 juillet 1789, le 5 octobre, l’assemblée constituante préparant la convention, la royauté captive avant d’être noyée dans le sang. C’est la révolution enfin qui se déchaîne et se précipite d’étape en étape sans reculer jamais.

Un des signes les plus curieux dans ce premier moment de la révolution française, c’est la décomposition soudaine et irrésistible de tout ce qui a existé jusqu’alors avec une apparence de grandeur encore imposante. Aussitôt que le mouvement est commencé, on dirait que cette monarchie séculaire s’affaisse brusquement dans le néant de ses traditions et de ses fictions. Elle s’écroule sous le souffle nouveau comme un vieux débris sur lequel tombe l’air extérieur. Elle n’a plus ni le gouvernement d’elle-même, ni le gouvernement des choses qui s’accomplissent autour d’elle. Sa politique est la politique des faibles et des vaincus, l’inertie étonnée ou « l’incohérente agitation d’un dépit impatient. » Rassemblez toutes ces dates principales et décisives : à la fin de juin 1789, la royauté voit à côté d’elle les états-généraux se transformer en assemblée nationale ; le 14 juillet, elle capitule par le rappel de Necker devant l’insurrection victorieuse ; le 5 octobre, quand la multitude va l’arracher à Versailles pour la traîner en triomphe à Paris comme le butin de la