Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’a plus même la ressource d’ignorer l’insulte. Quant à elle, une fois aux Tuileries, en plein Paris, au milieu de ce bourdonnement de haines, elle se représente dans sa petite chambre, gardant ses enfans auprès d’elle, ses enfans qu’elle ne quitte plus, et elle ajoute cette réflexion amère, que du moins on ne la soupçonnera pas de recevoir du monde chez elle. C’est Marie-Antoinette elle-même qui retrace d’une main agitée ce déchaînement populaire croissant quand elle écrit à son frère l’empereur Léopold : « Je suis journellement abreuvée d’injures et de menaces. À la mort de mon pauvre cher petit dauphin (2 juin 1789), la nation n’a pas seulement eu l’air de s’en apercevoir. À partir de ce jour-là, le peuple est en délire, et je ne cesse de dévorer des larmes. Quand on a subi les horreurs des 5 et 6 octobre, on peut s’attendre à tout. L’assassinat est à nos portes. Je ne puis paraître à une fenêtre, même avec mes enfans, sans être insultée par une populace ivre à qui je n’ai jamais fait le moindre mal, bien au contraire, et il se trouve assurément là des malheureux que j’aurai secourus de ma main. Je suis prête à tout événement, et j’entends aujourd’hui de sang-froid demander ma tête… » Voilà ce que Marie-Antoinette trouve du côté du peuple : la défiance, l’outrage et la menace. Et ce n’étaient pas là de vaines clameurs de la multitude. L’assassinat ou quelque acte de violence était bien réellement au bout de la menace. À chaque instant, on craignait de voir se renouveler les scènes du 6 octobre. L’assemblée ne faisait rien pour détourner le péril, et tout ce que Duport du Tertre, devenu ministre en 1790, trouvait dans son courage, c’était de répondre à M. de Montmorin qu’il ne se prêterait pas à un assassinat, mais qu’il en serait autrement, s’il s’agissait du procès de Marie-Antoinette.

Du côté de la cour, de ce qui reste de cette cour frappée par l’orage, où est l’appui, où est la ressource de la reine ? Les tantes du roi, vieillies et exilées des affaires, continuent leur guerre taquine et grondeuse de mauvais propos contre Marie-Antoinette, qui bien évidemment à leurs yeux trahit la maison de France. Monsieur, le comte de Provence, retiré au Luxembourg, joue au diplomate habile et calculateur ; il s’essaie à un rôle qui sourit à son ambition et devant lequel il recule ; « il a peur d’avoir peur, » dit cruellement Mirabeau. Le comte d’Artois, qui s’est refroidi pour la reine depuis le ministère de Necker, est suffoqué par le 14 juillet et donne en tête légère le premier signal de l’émigration. Le duc d’Orléans, aigri par les défiances et les froideurs de la cour, se laisse aller à son entourage, à Mme de Buffon, et à bien d’autres qui exploitent ses ressentimens ou ses vices et le poussent dans le camp ennemi en lui faisant un parti. Les autres princes du sang, les Condé, s’en