Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se sont réalisées à la lettre. Après avoir montré que l’Angleterre importerait pour environ un milliard de coton, il en concluait, que cette importation aurait pour conséquence infaillible un large écoulement de numéraire. Quand l’Europe tirait son coton de l’Amérique avant la guerre civile, elle le payait en marchandises manufacturées de toute nature, que les États-Unis consomment en abondance ; maintenant que c’est l’Inde qui fournit en grande partie l’approvisionnement de cette matière première, il n’en est plus de même. Le ryot hindou a peu de besoins, et comme tous les peuples arriérés il thésaurise les métaux précieux. Impossible donc de le payer en produits de l’industrie européenne : il ne reste qu’à lui expédier de l’argent. Ce drainage devait se faire sentir partout ; il élèverait le taux de l’intérêt en France, où l’act de 1844 n’agit pas, tout aussi bien qu’en Angleterre, parce que la cherté de l’argent proviendrait de la balance défavorable et non de la législation. L’escompte serait élevé durant toute l’année, mais avec des oscillations qui dépendraient de l’afflux et de l’écoulement intermittens du métal. Il en résulterait une grande gêne peut-être, mais point de véritable crise, parce que le marché n’était pas trop surchargé d’engagemens, grâce aux mesures de précaution prises à temps. — Ainsi parlait l’Economist, et il suffit de se rappeler les faits les plus récens, ou de consulter les bulletins de la Bourse de l’an dernier, pour se convaincre que ces prédictions financières se sont réalisées plus exactement encore que celles de la météorologie. Cette contre-épreuve si frappante de la théorie des crises prouve que l’on connaît bien aujourd’hui les causes qui engendrent ces désastreux phénomènes, et il n’est pas besoin d’insister pour montrer toute l’importance de cette découverte récente de la science économique, car on voit aussitôt à quelles pertes, à quelles catastrophes peut échapper l’homme d’affaires qui, connaissant les vrais principes, voudra se livrer à un examen attentif des faits du monde commercial. Il saura prévoir l’approche du gros temps et des momens difficiles mieux même que le marin, qui n’a pour se renseigner que le baromètre et l’état du ciel. Nous avons raconté les grandes perturbations monétaires qui périodiquement ont désolé l’Angleterre, les États-Unis, et parfois tout le nord-ouest, de l’Europe. Il serait téméraire peut-être d’espérer que l’avenir en sera complètement préservé, mais il est du moins permis de croire que, si le money-market doit encore traverser de mauvais jours et des périodes orageuses, le progrès des connaissances financières saura en atténuer les plus fâcheuses conséquences.


EMILE DE LAVELEYE.