Qu’y a-t-il de vrai dans ces violences ? Quelle confiance doit-on avoir dans ces hardiesses révolutionnaires de la critique allemande ? Quel jugement faut-il porter sur la conduite politique de Cicéron ? L’étude des faits va nous l’apprendre.
Trois causes contribuent d’ordinaire à former les opinions politiques d’un homme, sa naissance, ses réflexions personnelles et son tempérament. Si je ne parlais pas seulement ici des convictions sincères, j’en ajouterais volontiers une quatrième, qui fait plus de conversions encore que les autres, l’intérêt, c’est-à-dire ce penchant qu’on éprouve, presque malgré soi, à trouver que le parti le plus avantageux est aussi le plus juste, et à conformer ses sentimens aux positions qu’on occupe ou à celles qu’on souhaite. Cherchons à démêler quelle fut l’influence de ces causes sur les préférences politiques et la conduite de Cicéron.
Longtemps à Rome la naissance avait souverainement décidé des opinions. Dans une ville où les traditions étaient si respectées, on héritait des idées de ses pères comme de leurs biens ou de leur nom, et l’on mettait son honneur à continuer fidèlement leur politique ; mais au temps de Cicéron ces coutumes commençaient à se perdre. Les familles les plus anciennes ne se faisaient plus scrupule de manquer à leurs engagemens héréditaires. Dans le parti du sénat, on trouve alors bien des noms qui s’étaient illustrés à défendre les intérêts du peuple, et le démagogue le plus audacieux de cette époque s’appelait Clodius. En aucun temps du reste, Cicéron n’aurait pu trouver une direction politique dans sa naissance. Il n’appartenait pas à une famille connue. Il était le premier de tous les siens qui s’occupât des affaires publiques, et le nom qu’il portait ne l’engageait d’avance dans aucun parti. Enfin il n’était pas né à Rome. Son père habitait un de ces petits municipes de la campagne dont les beaux esprits se moquaient volontiers, parce qu’on y parlait un latin douteux et qu’on y connaissait mal les belles manières, mais qui n’en faisaient pas moins la force et l’honneur de la république. Ce peuple grossier, mais vaillant et sobre, qui occupait les pauvres villes délaissées de la Campanie, du Latium, de la Sabine, et chez qui les habitudes de la vie rustique avaient conservé quelque reste des anciennes vertus, était bien véritablement le peuple romain. Celui qui remplissait les rues et les places de la grande ville, qui perdait son temps au théâtre, qui figurait dans les émeutes du Forum et vendait sa voix au Champ-de-Mars, n’était qu’un ramassis d’affranchis et d’étrangers, et l’on ne pouvait apprendre avec lui que le désordre, l’intrigue et la corruption. La vie