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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/472

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dans sa rigueur elle est plus patriotique que juste. C’est aller bien loin que de nous donner la constitution romaine pour un modèle irréprochable et de fermer les yeux sur ses défauts au moment où elle périssait par ses défauts mêmes. Cependant il faut bien reconnaître qu’avec toutes ses imperfections elle n’en était pas moins une des plus sages des temps anciens, qu’aucune peut-être n’avait fait encore autant d’efforts pour satisfaire aux deux grands besoins des sociétés, l’ordre et la liberté. On ne peut pas nier non plus que son principal mérite consiste à essayer de réunir les diverses formes de gouvernement et à les concilier ensemble malgré leurs oppositions apparentes. Polybe l’avait aperçu avant Cicéron, et ce mérite, elle le tient de son origine même et de la façon dont elle s’est formée. Les constitutions de la Grèce avaient été presque toutes l’improvisation d’un homme ; celle de Rome fut l’œuvre du temps. Cette pondération savante des pouvoirs qu’admirait tant Polybe n’avait pas été imaginée par une volonté prévoyante. Il ne s’était pas trouvé un législateur aux premiers temps de Rome qui réglât d’avance la part que chaque élément social devait avoir dans la combinaison générale ; c’étaient ces élémens qui se l’étaient faite à eux-mêmes. Les séditions plébéiennes, les luttes acharnées du tribunat contre les patriciens, qui épouvantaient Cicéron, avaient précisément contribué plus que tout le reste à achever cette constitution qu’il admire. Après un combat de près de deux siècles, quand ces forces opposées s’aperçurent qu’elles ne pouvaient pas se détruire, elles se résignèrent à s’unir, et des efforts qu’elles firent pour s’accommoder ensemble sortit un gouvernement imparfait sans doute, — peut-il y en avoir de parfait ? — mais qui n’en reste pas moins le meilleur peut-être de l’ancien monde. Il est bien entendu que ce n’était pas à la constitution romaine telle qu’elle était de son temps que Cicéron donnait tous ces éloges. Son admiration remontait plus haut. Il reconnaissait qu’elle avait été profondément modifiée depuis les Gracques, mais il croyait qu’avant d’avoir subi ces altérations elle était irréprochable. C’est ainsi que les études et les réflexions de son âge mûr le ramenaient à ces premières impressions qu’il avait gardées de son enfance, et qu’elles fortifiaient en lui l’amour des anciens temps et le respect des anciens usages. À mesure qu’il avança dans la vie, tous ses mécomptes et tous ses malheurs le rejetèrent encore de ce côté. Plus le présent était triste et l’avenir menaçant, plus il se retournait avec regret vers le passé. Si on lui avait demandé en quel temps il aurait voulu naître, je crois qu’il aurait choisi sans hésitation l’époque qui suivit les guerres puniques, c’est-à-dire le moment où Rome, fière de sa victoire, assurée de l’avenir, redoutée du monde, entrevoit pour la première fois les beautés de la Grèce et commence à se laisser toucher par le charme