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des lettres et des arts. C’est le plus beau temps de Rome pour Cicéron, celui où il place de préférence la scène de ses dialogues. Il aurait certainement aimé à vivre parmi ces grands hommes qu’il fait si bien parler, auprès de Scipion, de Fabius et du vieux Caton, à côté de Lucilius et de Térence, et dans ce groupe illustre le personnage dont la vie et le rôle devaient le plus le tenter, celui qu’il aurait voulu être, si l’on pouvait choisir son temps et se faire sa destinée, c’est le sage et savant Læelius. Unir, comme lui, une grande situation politique au culte des lettres, joindre à l’autorité souveraine de la parole quelques succès militaires que les plus grands prôneurs des triomphes pacifiques ne dédaignent pas, arriver dans des temps calmes et réguliers aux premières dignités de la république, et après une vie honorable jouir longtemps d’une vieillesse respectée, voilà quel était l’idéal de Cicéron. Que de regrets et de tristesse n’éprouvait-il pas quand il retombait de ce beau rêve aux mécomptes de la réalité, et qu’au lieu de vivre au sein d’une république tranquille et dans la familiarité des Scipions, il lui fallait être le rival de Catilina, la victime de Clodius et le sujet de César !

Le tempérament de Cicéron eut, je crois, plus de part encore à ses préférences politiques que sa naissance et ses réflexions. Il n’y a plus rien à apprendre à personne sur les faiblesses de son caractère. On a pris plaisir à les mettre à nu, on les exagère même volontiers, et depuis Montaigne c’est un lieu-commun chez nous que de s’en moquer. Je n’ai donc pas besoin de répéter ce qu’on a dit tant de fois, qu’il était timide, hésitant, irrésolu ; je reconnais avec tout le monde que la nature l’avait fait homme de lettres bien plus qu’homme politique. Je crois seulement que cet aveu ne lui fait pas autant de tort qu’on pense, car il me semble que l’homme de lettres a souvent l’esprit plus complet, plus compréhensif, plus étendu que l’autre, et que c’est précisément cette étendue qui le gêne et le contrarie quand il met la main aux affaires. On se demande quelles sont les qualités qu’il faut avoir pour être un homme d’état ; ne serait-il pas plus juste de chercher quelles sont celles dont il est bon de manquer, et n’est-ce pas quelquefois par des limites et des exclusions que la capacité politique se révèle ? Une vue des choses trop fine et trop pénétrante peut embarrasser un homme d’action, qui doit se décider vite, par la multitude des raisons contraires qu’elle lui présente. Trop de vivacité d’imagination, en le promenant sur beaucoup de projets à la fois, l’empêche de se fixer sur aucun. L’obstination vient souvent de l’étroitesse d’esprit, et c’est une des plus grandes vertus du politique. Une conscience trop exigeante, en le rendant trop difficile sur le choix de ses alliés, le priverait de secours puissans. Il faut qu’il se méfie de ces élans de générosité qui le portent à rendre justice même à ses ennemis ; dans