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soulagement pour cette âme d’ordinaire si indécise et si incertaine de voir si clairement la vérité, de ne plus sentir d’ombres entre son esprit et elle, d’avoir une confiance si complète dans la justice de sa cause, et, après tant de doutes et d’obscurités, de combattre enfin au grand jour. Aussi comme on sent qu’il a le cœur à l’aise ! comme il est plus libre et plus vif ! quelle ardeur dans ce vieillard, et quelle passion de combat ! Aucun des jeunes gens qui l’entourent ne montre autant de décision que lui, et lui-même est plus jeune assurément qu’à l’époque où il combattait Catilina ou Clodius. Non-seulement il entame résolument la lutte, mais, ce qui est plus rare chez lui, il la poursuit jusqu’au bout sans faiblir. Par un contraste étrange, l’entreprise la plus périlleuse qu’il ait jamais tentée, et qui devait lui coûter la vie, est précisément celle où il a le mieux résisté à ses découragemens et à ses défaillances ordinaires.

Dès son retour à Rome, encore tout animé de cette ardeur qu’il avait puisée à Vélie dans les entretiens de Brutus, il se rendit au sénat, et il osa y parler. La première Philippique, si on la rapproche des autres, paraît timide et pâle ; quel courage cependant n’a-t-il pas fallu pour la prononcer dans cette ville indifférente, devant ces sénateurs effrayés, à quelques pas d’Antoine furieux, menaçant, et qui, par ses émissaires, écoutait tous les propos qu’on tenait contre lui ! Cicéron finissait donc comme il avait commencé. Deux fois, à trente-cinq ans d’intervalle, il protestait seul, au milieu du silence général, contre un pouvoir redouté, qui ne souffrait pas de résistance. Le courage est contagieux comme la peur. Celui que Cicéron montra dans son discours en fit trouver aux autres. Cette parole libre surprit d’abord, puis rendit honteux ceux qui se taisaient. Cicéron profita de ces premiers élans, bien timides encore, pour rassembler quelques personnes autour de lui et trouver des défenseurs à la république presque oubliée. C’était là le difficile. De républicains, il n’en restait guère, et les plus résolus allaient rejoindre Brutus en Grèce. Tout ce qu’on pouvait faire, c’était de s’adresser aux modérés de tous les partis, à tous ceux que blessaient les emportemens d’Antoine. Cicéron les adjura d’oublier leurs anciennes inimitiés et de se réunir. « Maintenant, leur disait-il, il n’y a plus qu’un seul vaisseau pour tous les honnêtes gens. » On reconnaît là sa politique ordinaire. C’est encore une coalition qu’il essaie de former comme à l’époque de son consulat. Ce rôle est décidément celui pour lequel il a le plus de goût et qui lui convient le mieux. Par la souplesse de son caractère et de ses principes, il était plus propre que personne à concilier les opinions, et l’habitude qu’il avait prise de côtoyer tous les partis faisait qu’il n’était étranger à aucun, et qu’il avait partout des amis. Aussi son entreprise