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se montrer, on lui fait un véritable supplice de « toutes ces promenades où des gens du mauvais peuple enfoncent leur chapeau sur leur tête avec affectation,… » quand ils ne la poursuivent pas de leurs insultes ; si elle se replie dans son intérieur, elle trouve la consternation et le doute, l’effroi du lendemain pour ses enfans. Si elle fait bon accueil à ce qui reste de noblesse auprès d’elle, la révolution soupçonneuse se fâche et gronde ; si elle fait un pas vers la révolution et vers ses chefs, c’est la noblesse qui est mécontente et qui boude. On lui demande ironiquement ce qu’est devenue la reine du 6 octobre ; on lui fait un crime d’intriguer avec Mirabeau, comme le dit naïvement Mme Elisabeth. On ne va pas à son jeu, le coucher du roi est solitaire, on va grossir le camp des émigrés, où elle passe pour une transfuge des bons principes, et alors, dans un moment de clairvoyante sincérité, elle se dit qu’elle aurait peut-être un jour sauvé la noblesse, si elle avait eu quelque temps le courage de l’affliger. Elle écrit à son frère : « La noblesse nous perdra en nous abandonnant à tous les dangers ; nous sommes forcés de nous sauver sans elle. Ce qui nous en reste murmure sans cesse et s’alarme quand en définitive nous travaillons pour elle : alors nous la caressons pour la rassurer, aussitôt le bruit en court, et les furieux de l’assemblée redoublent de fureur ; — quelle existence ! » La reine est vraie, disais-je ; elle est vraie jusque dans ces dissimulations dont elle parle et qu’une telle situation lui impose, jusque sous ce masque qu’elle se vante un jour avec amertume de mettre sur son visage, et ce qui le prouve, c’est cette amertume même qui la trahit, c’est la souffrance qu’elle ressent à plier son « caractère franc et indépendant » aux calculs momentanés de sa sûreté.

Le malheur de Marie-Antoinette, sans doute c’est de ne pas comprendre assez la puissance de cette révolution qui marche au pas de charge, et quand elle la comprend, quand elle se décide à chercher des conseillers secrets dans le camp même de la révolution, de ne suivre qu’à demi leurs avis, de les dénaturer, dz les énerver dans l’exécution. C’est la source de ce qu’on peut appeler ses fautes politiques, si tant est que ce ne soient pas les fautes du roi bien plus que de la reine. Je n’en voudrais qu’un exemple. Mirabeau, on le sait, voulait dès le premier moment que Louis XVI, n’ayant plus qu’une liberté dérisoire aux Tuileries, quittât Paris non pas secrètement, mais en public, qu’il se retirât non dans une ville de la frontière, à portée des armées étrangères, mais dans une ville de l’intérieur, à Rouen, et que là, acceptant la constitution dans tout ce qui n’était pas incompatible avec l’autorité royale, il ralliât la masse honnête, sensée et libérale du pays. En un mot, Mirabeau voulait tout par la France, sans réaction absolutiste et sans