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la jeune fille la plus fantasque, et Johanna, en croyant commander, ne faisait qu’obéir à l’impulsion qu’il lui communiquait.

Un jour, ils étaient partis tous les trois pour aller pêcher dans les eaux de la rivière Saint-John ; on devait faire une collation dans un lieu frais et ombragé, quand on aurait pris beaucoup de poisson. Le lieu était bien choisi, mais l’habitant des eaux a ses caprices, lui aussi, et les lignes demeuraient immobiles au milieu du courant, sans que la plus légère oscillation du liège à demi submergé indiquât la présence d’un poisson. Le vieux Bill, qui accompagnait volontiers son maître dans ces excursions exemptes de périls, faisait judicieusement observer que l’on ne gagnerait rien à attendre plus longtemps. Quand le soleil s’élève sur l’horizon, la truite, aussi bien que la tanche paresseuse et la carpe défiante, descend au plus profond de la rivière et s’y retire pour dormir.

— Sir Henri, dit Johanna d’un ton de reproche, vous nous avez conduits dans des parages où il n’y a jamais eu de poisson.

— Miss, répliqua sir Henri, prenez patience, et donnez plus de fond à vos lignes… Le poisson va venir ; mais si vous faites du bruit, adieu la pêche !…

— Eh bien ! adieu la pêche ! repartit vivement Johanna ; mon père, quel livre avez-vous à la main ? Oh ! qu’il ferait bon lire ici à haute voix quelque belle poésie !

— Le livre que je tiens est un volume du mélancolique Wordsworth, répondit M. Blumenbach, qui se tenait paisiblement à l’écart. Je lis le joli poème de Peter Bell ; mais la lecture à haute voix m’est pénible. Si vous voulez prendre le livre, sir Henri…

Sir Henri prit le volume, et après avoir parcouru quelques lignes, Il lut cette stance :

His face was keen as the wind
That cuts along the hawthorn fence ;
Of courage you saw little there,
But, in its stead, a medley air
Of cunning and impudence.
…………
There was a hardness in his cheek,
There was a hardness in his eye[1].

En vérité, ait sir Henri en interrompant sa lecture, nous le connaissons tous, ce Peter Bell dont parle le poète, car son portrait semble fait sur nature… C’est celui de votre ancien ami, monsieur Blumenbach !

  1. « Son visage était aigu comme le vent qui pénètre à travers la haie de néfliers sauvages ; de courage, on n’en voyait guère sur ses traits, mais en revanche un mélange de finesse et d’impudence… Il y avait de la dureté sur sa joue ; il y avait de la dureté dans son œil… »