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sur le théâtre le plus élevé et le plus dramatique du monde les vives et fortes émotions de la jeunesse. Quand il a été condamné à l’inaction, il a pu occuper ses loisirs dans le mouvement de la société aristocratique et politique d’Angleterre, recueillir de nobles amitiés dans le cercle d’Holland-House, former d’intimes liaisons avec des hommes tels que lord Palmerston. Le régime de 1830 le porta aux premiers postes diplomatiques, qu’il sut dignement remplir, et les vicissitudes des événemens qui suivirent ont rejoint pour ainsi dire les deux extrémités de sa vie en le ramenant dans le milieu des succès de ses premières années. L’empereur a éclairé l’autre jour d’une lueur finale, dans l’intervalle opportun d’une situation politique reposée, la bonne grâce et la bonne fortune de cette rare existence. Pour nous, en lisant les paroles de l’empereur, nous songions aux lignes touchantes par lesquelles Mme  de Souza, qui était encore alors Mme  de Flahault, présenta pour la première fois au monde son fils, celui-là même à qui vient d’être adressé le compliment impérial. Il y a longtemps de cela. C’était en 1793. Mme  de Flahault, émigrée et malade, publiait à Londres son premier roman, Adèle de Sénanges. « Cet essai, disait-elle dans l’avant-propos, a été commencé dans un temps qui semblait imposer à une femme, à une mère, le besoin de s’éloigner de tout ce qui était réel, de ne guère réfléchir et même d’écarter la prévoyance, et il a été achevé dans les intervalles d’une longue maladie… Seule dans une terre étrangère, avec un enfant qui a atteint l’âge où il n’est plus permis de retarder l’éducation, j’ai éprouvé une sorte de douceur à penser que ses premières études seraient le fruit de mon travail. Mon cher enfant, si je succombe à la maladie qui me poursuit, qu’au moins mes amis excitent votre application en vous rappelant qu’elle eût fait mon bonheur ! Et ils peuvent vous l’attester, eux qui savent avec quelle tendresse je vous ai aimé, eux qui si souvent ont détourné mes douleurs en me parlant de vous !… » Et ainsi continuait le tendre et gracieux babil maternel. On voit que les vœux de sa mère ont porté bonheur à M. de Flahault. Sa vie est un roman de Mme de Souza qui finit bien, un roman consolant qui prouve que toutes les carrières commencées dans les peines de l’exil ne sont point condamnées à un malheur éternel. Nous espérons d’ailleurs qu’on ne trouvera point ce rapprochement indigne du sérieux de la politique. Qui sait si quelque historien investigateur de l’avenir, un Michelet, un Carlyle encore à naître, désireux de se rendre compte de tous les ressorts directs ou indirects qui ont agi sur l’époque présente, ne sera point amené à se demander quelle influence a pu exercer sur une forme et un moment de notre société l’écrivain délicat à qui nous devons Eugène de Rothelin, Emilie et Alphonse, et d’autres œuvres qui restent parmi les plus charmantes de notre littérature ? L’historien littéraire notera sans doute ces ouvrages qui marquent une fine transition, au point de vue de là forme et du goût, entre le style Louis XVI et le style de l’empire, comme parlent aujourd’hui les amateurs de curiosités ; mais peut-être l’historien moraliste voudra-t-il aller plus loin et se croira-t-il