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héritage et qui croient gravement s’être parés à la dernière mode du progrès lorsqu’ils n’invoquent que de vieilles idées justement répudiées par tout ce qu’il y a eu en Angleterre d’économistes et d’hommes d’état financiers éminens depuis un demi-siècle.

C’est une des bonnes chances de cette année qu’au début du moins aucune question de politique étrangère ne s’impose aux préoccupations publiques. Il y a bien toujours cette affaire des duchés, qui, après avoir ameuté l’Allemagne contre l’infortuné Danemark, devient une cause de querelle intestine au sein de l’Allemagne elle-même. La Prusse détient les duchés et n’a pas l’air de vouloir s’en dessaisir de si tôt. Avant de laisser régler par la diètes la question de succession ; M. de Bismark a une infinité de préliminaires à établir et profite de tous les incidens pour entamer de droite et de gauche des discussions collatérales. Tantôt il veut que l’Autriche convienne avec lui des rapports qui devront exister entre la Prusse et les duchés avant qu’on examine à Francfort les titres des divers prétendans ; tantôt il donne à la Saxe et à la Bavière des leçons acerbes sur des devoirs des états secondaires, et leur fait énergiquement sentir qu’une grande puissance comme la Prusse ne peut point se laisser enchaîner dans la confédération comme dans les mailles d’un étroit réseau ; puis il envoie à Vienne le héros d’Alsen, le prince Charles de Prusse. Cependant les jours et les semaines passent, et l’affaire des duchés ne sera point résolue lorsque s’assembleront les chambres prussiennes. Nous ne serions point surpris que M. de Bismark réservât cette affaire comme un moyen de se concilier une partie de ses anciens adversaires politiques dans la chambre populaire, et, d’un autre côté voulût à ce propos prendre dans une manifestation parlementaire un point d’appui contre les exigences de la diète. Quoi qu’il en soit, grâce à la politique passive, et à la systématique prudence de l’Angleterre et de la France, la Prusse est en veine de s’agrandir, et l’on peut être sûr que M. de Bismark ne laissera échapper aucune des occasions que la fortune pourra mettre à sa portée.

Pour notre compte, nous plaçons aussi parmi les meilleurs augures de cette année le bon aspect qu’ont pris décidément les affaires de l’Union américaine. Le général Sherman a dignement couronné par la prise de Savannah sa belle campagne de Géorgie. L’effet moral de cette campagne est immense. La Géorgie est l’état le plus riche et le plus peuplé, l’imperial state de la confédération. La presse de Richmond, quand Sherman commença son entreprise, fit entendre toute sorte de rodomontades. Sherman, disait cette presse, était coupé de sa base d’opérations par Hood, qui envahissait sur ses derrières le Tennessee ; en évacuant Atlanta et en se lançant dans la Géorgie, il tentait une retraite impossible, ce serait une autre retraite de Moscou, et on prédisait la destruction de son armée, dont quelques débris à peine atteindraient les marécages qui enveloppent Savannah. On ne pouvait rien opposer à ces prédictions confiantes tant, que Sherman