Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/547

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poursuivait silencieusement son entreprise ; mais l’événement a prouvé que le général américain unit une grande sûreté de jugement à la hardiesse des conceptions et à une rare promptitude d’action. En s’engageant, dans la Géorgie, Sherman savait bien ce qu’il faisait. D’abord il ne reculait point devant Hood ; il savait que l’armée de Hood ne pouvait lui inspirer d’inquiétude, puisqu’il lui suffisait d’un détachement de ses propres troupes placées sous le commandement du général Thomas pour amuser Hood, l’attirer dans le Tennessee, et finalement le battre et le détruire. Il savait qu’il ne rencontrerait pas d’ennemis qui passent l’arrêter dans la Géorgie, qu’il n’aurait point à lutter contre l’énergie désespérée d’une population hostile, qu’il traverserait un pays fertile en y nourrissant grassement son armée. Aucune de ses prévisions n’a été démentie ; la faiblesse intérieure, de la confédération a été démontrée au monde, et maintenant Sherman, après avoir coupé en deux les états rebelles, pourra remonter vers le nord et se joindre à Grant pour étouffer la sécession dans un cercle de fer. Devant une démonstration aussi saisissante de la faiblesse de la confédération esclavagiste, bien dès-opiniâtretés doivent être ébranlées dans, les états du sud. Déjà un membre du congrès de Richmond a déposé une proposition qui demande l’ouverture des négociations pour la paix, et un membre du sénat rebelle, M. Foote a quitté l’assemblée en faisant entendre contre M. Jefferson Davis les récriminations les plus vives.

Il est étrange qu’au moment où la nouvelle des succès de Sherman et de Thomas arrivait à Washington, une alarme qui a peu duré ait traversé le monde politique américain. Le bruit se répandit que la France et l’Angleterre allaient prendre prétexte de la nouvelle élection présidentielle pour reconnaître comme gouvernement de fait les états confédérés. Le motif dont on couvrait ce projet de reconnaissance était assez subtil. Les puissances européennes, disait-on, ont pu considérer d’abord la rébellion comme une guerre civile intérieure, car les états du sud avaient pris part à l’élection de 1860, d’où est sortie la nomination de M. Lincoln comme président. Pendant sa première magistrature, M. Lincoln a bien été le président légal de tous les États-Unis ; mais il n’en est plus de même depuis l’élection de 1864 : les états confédérés n’ont pris aucune part à cet acte politique. M. Lincoln n’est plus maintenant le président nommé par tous les états : les états confédérés ont maintenant en fait une existence séparée et indépendante ; ils ont droit à être reconnus comme un gouvernement de fait. Nous ne savons quel est le rat de chancellerie qui a imaginé cette ingénieuse théorie. On aurait pu en tirer un grand parti contre les États-Unis, si par malheur ils eussent eu mine d’être les plus faibles et d’avoir le dessous ; mais la force domine aisément les inventions des casuistes de la diplomatie, et ni l’Angleterre ni la France ne songeront à chercher aux États-Unis et à leur magistrat suprême une aussi mauvaise chicane. Quoi qu’en ait dit le Times, nous ne pouvons croire que notre gouvernement ait récemment