Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’homme. Celui-ci abuse de ses facultés, il se pervertit et s’égare à plaisir, quand il ne fait pas de ses facultés l’usage purement scientifique. Aimez-vous les romans? Soit; mais sachez bien dans ce passe-temps que vous faites ou que vous lisez un roman. Il a plu à Newton de commenter l’Apocalypse; mais Newton savait bien alors qu’il ne décrivait pas la mécanique céleste. L’homme a certaines facultés pour en jouir, mais non pour y croire.

Bien entendu que ce sont toujours les philosophes positifs qui parlent de la sorte. Disent-ils autre chose encore? y a-t-il quelque chose de plus dans leur doctrine? Hélas! oui, il y a une politique; il y a même une religion, ce qui est un insigne écart, une trahison intime de leur méthode. Cette religion, M. Littré la rejette; cette politique, il ne l’expose pas, ou du moins il ne l’expose plus. Faisons comme M. Littré, laissons là ces tristes dogmes et cherchons plutôt ce qui a pu suggérer et mettre sur pied cette entreprise inouïe d’une science unique, d’une maîtresse science, non-seulement pour expliquer la nature, mais pour conduire les individus et les sociétés, pour les contenter, pour les repaître, corps et âmes. Cherchons cela où l’on peut le trouver, c’est-à-dire dans le divorce des esprits avec les autorités qui régnaient autrefois sur les esprits, dans la disproportion de ces anciennes puissances avec les nouveaux principes de foi et d’obéissance qui ont prévalu dans le monde.

J’allais dire à ce propos que la face du monde a changé; mais ces expressions manquent de force et de propriété. C’est le fond même des choses qui s’est transfiguré, c’est l’âme humaine qui s’est enrichie d’idées, peut-être même de facultés nouvelles. Je vous fais grâce de tant d’inventions qui, dans le courant même du moyen âge, ont éclaté en bienfaits et en lumière sur la condition physique des hommes, et que Turgot a si bien reconnues et énumérées. Cela est considérable, mais n’a rien à voir ici. Ce que je veux détacher et mettre en relief, c’est le progrès des sciences morales, car, remarquez-le bien, la science est possible, elle existe et même se développe dans l’ordre moral : l’histoire en témoigne, l’histoire la plus avérée, la plus éclatante. Telle a été la fortune de certaines idées, nullement géométriques ni chimiques, capables de renouveler les conditions de la foi et les bases de la société, — ce qui est moral apparemment, — que ces idées ont fait des sciences : philosophie de l’histoire, histoire générale et critique, économie politique, philosophie politique, cette dernière en voie de formation seulement, un desideratum dont le nom seul existe. Il n’est tel que cet achèvement scientifique d’une idée pour en marquer la diffusion et la puissance. Quand le monde est jeune, il fait des vers