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quelquefois une épopée, avec les idées qui le pénètrent. On sait de reste que tout le paganisme des anciens est dans Homère, tout leur rationalisme dans Lucrèce, toute la piété du moyen âge dans la Divine Comédie. Plus tard, en pareil cas, le monde fait des sciences et même des révolutions. A chaque âge son allure : dans l’âge viril, l’homme a foi aux idées, foi sur expérience et non sur parole : c’est de beaucoup la plus puissante en œuvres. On ne l’a pas encore vue transporter des montagnes; mais comme elle détruit! comme elle s’entend à niveler!

Quelles sont donc ces idées si puissantes sur l’esprit des hommes, qui finissent par se couronner de sciences et de révolutions? De grandes idées, il faut en convenir : souveraineté des peuples dans les limites de la raison, souveraineté des individus dans la limite de l’inoffensif, égalité des hommes devant la loi, pas de lois contre la conscience et la propriété, affranchissement des esprits, valeur et dignité du travail; — idées saines et légitimes autant que passionnées et capiteuses. Elles ne font qu’exprimer ce qui est dans toutes les consciences. Or, si l’idée du droit est en nous, c’est pour en sortir apparemment et s’empreindre dans toutes les relations humaines. Ou cette idée n’a pas de sens, pas d’application, ou elle doit se détailler de la sorte et s’emparer du monde avec cette puissance... Et de fait elle n’y manque pas. Il faut qu’une société s’ouvre un jour ou l’autre à des institutions nées de l’idée du droit, à moins d’être orientale, théocratique, c’est-à-dire fondée sur une borne où elle s’endort et s’ensevelit à jamais... Mais si nous supposons un peuple où l’état social n’est pas fixé et pétrifié par un décret divin, où la nouveauté n’est pas un sacrilège, où rien n’arrête de ce côté l’ascension naturelle des esprits,... les choses ne sauraient s’y passer comme en Orient : les esprits, s’appliquant à la cité, y découvrent une chose publique et ne tardent pas à la traiter comme telle, sans respect aveugle de ce qui a duré, sans frayeur sénile de ce qui est nouveau. La vraie différence de l’Orient à l’Occident, ce n’est pas l’heure plus ou moins matinale où le soleil s’y lève : c’est que l’Occident fait la distinction du spirituel et du temporel, dont l’Orient fait confusion.

En Europe, pour avoir mis d’un côté le pape, de l’autre le monarque, la plus haute source de révolution était ouverte : l’esprit nouveau pouvait entrer par là et souffler à toute haleine. C’est à ce titre que ces fils de Japhet ont seuls l’aptitude au progrès. Entre l’église sans épée et l’état sans idée, sans âme, l’esprit a paru comme une puissance et fait œuvre d’examen, c’est-à-dire de réforme; le droit humain a pu se faire entendre, se faire compter. Le monde a marché, grâce à la division de ces pouvoirs dont la