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nique courte à larges manches, descendant jusqu’au-dessous du genou, et serrée au-dessus des hanches par une ceinture d’où pend une courte et large épée. Au bas de ce vêtement court une bande qui figure probablement une bordure dont la couleur différait de celle du reste de l’étoffe. Les jambes paraissent nues. Les pieds sont chaussés de souliers dont la pointe se relève un peu, comme celle des souliers à la poulaine : détail curieux que l’on a retrouvé en Cappadoce dans les grands bas-reliefs de Boghaz-Keui et d’Euiuk, en Italie dans les plus anciennes des sculptures étrusques : ainsi par exemple dans ce tombeau, connu sous le nom de tombeau lydien, qui a passé de la collection Campana dans le musée Napoléon III[1].

Comment se trouvent et que font là ces deux figures colossales ? À quelle époque et dans quelle intention les a-t-on sculptées dans cette roche, sous la puissante enceinte dont elle était l’indestructible fondation ? Quelles générations les ont laissées là comme la marque ineffaçable de leur passage ? On ne sait, et en l’absence de toute inscription et de tout document historique il ne semble pas que personne puisse répondre à ces questions. Veut-on une hypothèse ? Voici une de celles qui paraîtraient peut-être le moins invraisemblables. Dans ces longues guerres entre les rois de Lydie et les rois de Médie, sur lesquelles Hérodote nous donne de trop courts détails, les rois mèdes franchirent l’Halys et se portèrent au-devant de leurs ennemis. Ce fut peut-être dans le cours d’une de ces campagnes que les Mèdes fortifièrent cette hauteur. Comme pour marquer cette terre de leur sceau, ils auraient alors taillé dans le roc, à la porte de leur citadelle, l’image de deux princes ou généraux mèdes. Il semble que la main droite des deux guerriers, étendue vers l’occident, montre les plaines spacieuses qui se déploient à perte de vue de ce côté, et en promette la conquête. Quoi qu’il en soit de cette conjecture, nous avons là sans doute la signature de quelque conquérant venu de Ninive ou de Babylone, ou plutôt encore d’Ecbatane ou de Suze.

Ce qui confirme cette supposition, c’est que, par le caractère du costume, par la disposition des plans, par la manière dont est comprise et rendue la forme humaine, par l’ensemble enfin du style, ces monumens se rapprochent sensiblement et des bas-reliefs cappadociens et des figures assyriennes que nous possédons au musée

  1. J’avais pris à tout hasard un premier croquis de ces figures ; mais dès mon retour à Angora M. Guillaume partit pour les dessiner. On peut voir, dans l’Exploration archéologique de la Galatie et de la Bithynie (Paris, Didot, ), planche 10, une fidèle copie de ces bas-reliefs, qui compteront parmi les plus authentiques et les plus intéressans monumens de l’art asiatique primitif.