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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/706

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rigine des religions. Au fond, que trouvez-vous? Un esprit qui se débat contre ses propres aptitudes, qui est en travail perpétuel de métamorphose et apparaît sous une multitude de faces contraires, semblables, à des fragmens d’un miroir brisé qui refléteraient une physionomie toujours changeante. Chose curieuse en effet, M. Michelet réunit en lui des traits qui semblent s’exclure, et qui font de son talent un phénomène aussi brillant que difficile à saisir et à dessiner. L’auteur de l’Histoire de France et de la Bible de l’humanité est certainement avant tout un esprit de haute et fine culture, recherché, allant même jusqu’à être précieux, et le voilà tombant dans des trivialités grossières que sa svelte nature traîne après elle comme un vêtement incommode et malpropre. M. Michelet a sans effort par instans l’impartialité supérieure d’une intelligence sérieuse formée dans l’étude, dans la contemplation désintéressée des choses du passé, et tout aussitôt il aura de véritables fureurs de parti-pris, des haines passionnées, fixes, implacables. De tous nos contemporains, il est assurément celui qui a le moins le tempérament révolutionnaire. Imaginez donc l’auteur de l’Amour s’embarrassant dans une déclamation révolutionnaire ; il s’arrêterait à mi-chemin : après trois mots, il mettrait un point. Il a trop le goût des choses idéales, des abréviations et des subtilités de langage, et cependant il lui arrive de vouloir souffler dans ce tube sonore d’où sortent les lieux-communs, les banalités retentissantes et vides, les emphases révolutionnaires. S’il est un homme tout d’instinct, d’intuition, d’une âme religieuse et même mystique, certes c’est M. Michelet; il n’a pas seulement le sens du mysticisme dans le passé, il en a le goût et la vocation. Il a la passion de tout ce qui est mystérieux, il se promène parmi les visions, il s’échappe en extases subtiles et enflammées, et tout à côté il sera pris d’un démon secret d’ironie, il déchirera les voiles du temple, il ravagera le sanctuaire et jouera sans pitié avec les choses sacrées. Il a le sentiment délicat et exalté de la pureté morale, et il se plongera dans les détails de la physiologie la plus crue. Il étonne par une puissance singulière de transformation et de mobilité. Où est le secret de cette nature multiple? quelle est la faculté essentielle dont la domination exclusive explique ces contrastes et ces métamorphoses, et, pour me servir d’une des expressions de l’auteur, ce perpétuel hallali à travers toutes les routes du visible et de l’invisible? Notre ingénieux ami Emile Montégut l’a dit, et un autre esprit de vive pénétration, M. H. Taine, l’a dit aussi, et on le redira toutes les fois que M. Michelet lancera quelque œuvre nouvelle comme une énigme de plus: c’est l’imagination, — une imagination nerveuse, inquiète, vagabonde, prodigieusement impressionnable et vibrante. C’est par l’i-