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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/713

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nomènes, à planter son drapeau sur bien des conquêtes de sa pensée ou de sa science, et voici que tout à coup il s’arrête étonné et muet devant ce fait universel, obstiné, — le mal, la douleur héréditaire, la solidarité dans l’expiation. D’où vient cette loi inexorable et inexpliquée qui poursuit la race humaine? Comment se fait-il que celui qui n’a commis encore aucune faute, qui n’a pas même existé, entre dans la vie, où il n’a pas demandé à venir, enfanté dans la douleur et ayant lui-même des larmes pour premier langage?

Ainsi reparaît sans cesse l’inconnu, où l’âme humaine plonge de toute la force de cet instinct que la science seule ne satisfait pas, que les religions de siècle en siècle ont cherché à satisfaire par des interprétations toujours nouvelles, variées avec les races, certainement incomplètes et insuffisantes, de l’idée de Dieu, de la nature et de l’homme. Et entre tous les systèmes religieux qui se sont succédé, ce qui fait la puissance du christianisme, c’est que bien évidemment il est l’explication la plus universelle, la plus lumineuse et la plus profonde de cet ensemble de mystères, c’est que mieux que tout autre il sait parler aux hommes de leurs misères et de leur grandeur. Ce qui, en dehors des questions historiques qu’on peut agiter, fait du christianisme une doctrine à part, où d’autres doctrines anciennes ont pu venir se fondre, mais qui dans son essence n’est pas seulement le produit de l’imagination humaine, qui se lie dans son origine à l’apparition d’un révélateur divin et suscite invinciblement la croyance, c’est que ses principes sont toute une révolution inattendue et la plus imprévue, c’est que, comme le disait un jour M. Quinet, s’il était possible que le christianisme fût né spontanément dans ce chaos d’Hébreux, de Grecs, d’Égyptiens, de Romains, d’adorateurs de Jéhovah, de Mithra, de Sérapis, qui se mêlent à cette époque, si « cette vague multitude, oubliant les différences d’origine, de croyances, d’institutions, s’est soudainement réunie en un même esprit pour inventer le même idéal, pour créer de rien et rendre palpable à tout le genre humain le caractère qui tranche le mieux avec tout le passé et dans lequel on découvre l’unité la plus manifeste, » c’est le plus « étrange miracle » dont on ait entendu parler, et tel que l’eau changée en vin n’est rien auprès de celui-là. M. Michelet, je le sais bien, résiste; il a de tendres et infinies admirations pour les lois de Manou, pour les Vêdas, pour tout ce qui est persan ou égyptien ; il aura beau s’évertuer, il fera du chemin avant de rencontrer quelque chose comme le sermon sur la montagne, comme ces versets merveilleux dont la fécondité n’est point épuisée, qui retentissent encore à l’oreille de tous les humbles, de tous ceux qui souffrent, qui ont besoin d’être soutenus ou relevés : « bienheureux ceux qui pleurent,... bienheureux les doux et les miséricordieux,... bienheureux ceux qui supportent la persé-