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en public. Depuis qu’il s’est lancé dans cette voie, l’auteur de la Femme et de l’Amour, il faut l’avouer, ne résiste plus du tout à ces imaginations; il entre dans des détails d’une crudité réaliste qui ne laisse pas en vérité d’être très audacieuse. Tout y est, sauf le mot, et encore le mot y est-il quelquefois. Dans ses histoires comme dans ses poèmes en prose, dans son élégie médicale sur la femme comme dans la Bible de l’humanité M. Michelet en vient, malgré lui, à ne plus voir qu’un objet unique, à tout ramener à un invariable point de vue, et vous sentez par exemple que quand il aborde en historien des époques comme la régence, lorsque dans ses études sur les religions il trouve sous la main les mythes égyptiens ou le Cantique des cantiques, il va jusqu’au bout. M. Michelet, je le sais bien, a le respect de la reproduction de l’espèce humaine; il y voit quelque chose d’auguste et de religieux, comme un rite sacré du culte de la nature. Ce n’est pourtant pas un motif pour vivre sous cette obsession unique, pour tenir à nous dire à quel jour, à quelle heure, sous quelle impression tel personnage de l’histoire a été conçu, pour décrire les poursuites ardentes de la divinité égyptienne cherchant avec une fougue africaine les membres dispersés de l’époux, de son Osiris, et finissant par les trouver tous, — tous, hors un seul. « Profond désespoir! hélas! celui-ci, c’est la vie! Puissance sacrée d’amour, si vous manquez, qu’est-ce du monde? » On est bien forcé quelquefois avec M. Michelet de s’aventurer dans des régions scabreuses. Et notez bien que même dans les détails les plus nus, qui ont à peine le vêtement succinct d’une statue antique bien élevée, l’auteur ne se défait pas d’une certaine mysticité. M. Michelet est tout à la fois poète, médecin, physiologiste, casuiste, mythologue et historien. C’est beaucoup sans doute pour former une originalité morale et littéraire des plus curieuses, ce n’est pas assez pour entreprendre la réforme religieuse du monde par un idéal qui n’est pas même nouveau, qui n’est que le résumé plus poétique que scientifique d’une multitude de préjugés antichrétiens.

Au fond, la Bible de l’humanité n’est point autre chose : c’est un recueil de fantaisies brodées par une imagination agacée et nerveuse, qui a des visions, qui a eu surtout la vision de l’oiseau noir, et qui dans sa mobilité effarée flotte sans cesse entre toutes les extrémités morales, entre sa nature véritable et la nature qu’elle cherche à se faire. C’est le livre d’un rêveur transformé par les hasards de la vie en polémiste pétulant et fantasque, et s’il a quelque chose de sérieux, c’est parce que, comme bien d’autres livres nés d’une pensée d’hostilité ou de réserve presque dédaigneuse à l’égard du christianisme, il laisse une impression d’indéfinissable