Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teur. Il est regrettable que cet essai, tenté il y a vingt-trois ans, demeure à l’état d’essai, et l’on se demande comment cela est possible à présent que le succès est constaté. Est-ce timidité? est-ce négligence? La timidité n’a pas de prétexte, la négligence serait coupable. Voici l’article 1er de cette loi : « Les enfans ne pourront être employés que sous les conditions déterminées par la présente loi, 1° dans les manufactures, usines et ateliers à moteur mécanique ou à feu continu, et dans leurs dépendances, 2° dans toute fabrique occupant plus de vingt ouvriers réunis en atelier. » Cela revient à dire que la loi réglemente uniquement le travail des enfans dans la grande industrie. On se demande, en lisant cet article, si la grande industrie emploie plus d’enfans que la petite, et les occupe à un travail plus fatigant.

Or il n’en est rien. D’abord, pour la fatigue, les professions sont si variées dans la petite industrie qu’il est difficile de proposer une formule générale; mais il est clair que dans la grande industrie le métier de rattacheur, celui de lanceur, celui de margeur, sont au nombre des moins fatigans, et qu’ils s’exercent dans des ateliers plus salubres que ne le sont ordinairement ceux de la petite industrie. Pour le nombre, il n’y a pas de comparaison possible. Un recensement qui remonte à 1851 donne pour la grande industrie 2,094,370 ouvriers, pour la petite industrie 7,810,150 ouvriers, pour l’industrie agricole 20,351,630 ouvriers. La proportion entre les ouvriers et par conséquent entre les enfans était à peu près comme 2 est à 28. Supposons qu’elle ait varié dans ces quatorze ans, comme on n’en peut guère douter, car les progrès de la grande industrie sont manifestes : il n’en reste pas moins vrai qu’en limitant sa protection aux enfans employés dans la grande industrie, la loi ne protège pas la dixième partie des jeunes travailleurs. Cela étant, que peut-on répondre au raisonnement que voici : une loi n’est juste que quand elle est nécessaire; aucune loi n’est plus nécessaire, ni par conséquent plus juste que celle de 1841; cette loi est tout aussi nécessaire aux enfans qu’elle abandonne qu’à ceux qu’elle protège : donc elle doit étendre sa protection et ses bienfaits, non pas, comme elle l’a fait jusqu’à présent, à une catégorie très restreinte de jeunes travailleurs, mais à tous les ouvriers âgés de moins de seize ans, quel que soit l’atelier où ils travaillent?

Il n’y a qu’une seule objection, c’est que l’inspection, la constatation même des délits sera difficile dans les ateliers composés de moins de vingt ouvriers. Elle sera peut-être difficile, ce qui même n’est pas prouvé; mais elle ne sera pas impossible, et elle est très nécessaire : ces deux points sont hors de doute. Un petit atelier, dit-on, est quelquefois la famille elle-même; il faut craindre d’in-