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Est-il possible, comme quelques personnes l’ont rêvé, de remplacer l’apprentissage dans les ateliers par des écoles d’apprentissage? Nous n’hésitons pas à dire que cela n’est pas possible. Il y a deux objections également invincibles. La première, c’est la dépense. Nous la dédaignerions, s’il ne s’agissait que de quelques millions. Il s’agit au contraire d’une dépense supérieure à celle de l’enseignement primaire et de l’enseignement professionnel réunis. En effet, une école d’apprentissage est une école sans doute; mais c’est encore plus un atelier qu’une école. Que fera l’état dans l’hypothèse de nombreuses écoles d’apprentissage? Prendra-t-il des élèves pour leur temps, comme les autres patrons? Alors il faut qu’il se transforme en entrepreneur. Se fera-t-il payer? Dans ce cas, pour aspirer à être ouvrier, il faudra être fils de famille. Enseignera-t-il les professions gratuitement? S’il le fait, il se ruinera. Il y a plus : s’il enseigne le métier à tout le monde, il l’enseignera mal, et c’est là la seconde objection, tout aussi forte que la première. Il est impossible que l’école d’apprentissage remplace avantageusement l’apprentissage dans l’atelier, parce qu’on y sacrifiera toujours involontairement la pratique à la théorie. À cet égard, il faut distinguer entre les ouvriers d’élite et les ouvriers ordinaires, entre les professions faciles et celles qui demandent une habileté supérieure.

Autant il serait impraticable de supprimer partout l’apprentissage pour le remplacer par des écoles, autant il est avantageux, pour l’industrie nationale et pour les ouvriers eux-mêmes, de placer dans les grands centres industriels quelques écoles spéciales, en petit nombre, bien pourvues de ressources et de maîtres, qui propagent les connaissances théoriques et fournissent des moniteurs à l’enseignement mutuel des ateliers. Il est par exemple hors de doute que l’école de tissage fondée à Mulhouse rendra les plus grands services à la fabrique française. Elle possède dès à présent un assortiment des machines les plus parfaites, et sera constamment tenue au courant des perfectionnemens mécaniques et des améliorations dans les procédés de préparation et de teinture. Les élèves qu’elle formera posséderont à fond la théorie comme la pratique de leur profession, et ils auront gagné, dans la fréquentation des plus habiles praticiens, ce point d’honneur professionnel qui est d’une importance inappréciable pour le développement d’une industrie. Est-ce à dire que les fabriques de Mulhouse vont manquer d’apprentis, et que les ouvriers vont aller se former à l’école de tissage? Ils n’y penseront même pas, et il suffit de voir l’école, sans parler de son règlement, pour comprendre qu’on n’a pas en vue les futurs ouvriers, mais bien les futurs patrons. On forme sans doute des ouvriers dans les écoles d’horlogerie; seulement il faut