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On se demande ce qui guide les pères de famille dans le choix d’un état pour leurs enfans. Quand il faut payer une somme, c’est pour beaucoup un obstacle insurmontable; mais enfin l’apprentissage est également de quatre ans pour une tisseuse et pour une dévideuse : toute la différence est qu’une tisseuse doit donner 50 fr.; il n’y en a pas d’autre, puisqu’avec son tiers de journée elle peut gagner beaucoup plus des 20 francs par an que le maître donne à l’apprentie dévideuse. Il n’est pas besoin non plus d’une capacité exceptionnelle pour apprendre le tissage de la soie ; la plupart des dévideuses en seraient venues facilement à bout. C’est donc tout simplement cette somme de 50 francs une fois donnée qui met entre ces deux femmes, et pour toute la vie, une si grande différence. Quelquefois l’apprentissage se fait à des conditions absolument identiques dans deux métiers dont l’un est excellent et l’autre assure à peine de quoi vivre. Pourquoi le mauvais métier trouve-t-il des enfans qui s’y dévouent? Est-ce encombrement des professions lucratives? est-ce ignorance des pères de famille? Se laissent-ils déterminer par l’occasion? Le fils entre-t-il sans réflexion dans la carrière de son père? Ni la loi ni l’administration n’ont prise sur la détermination des ouvriers : on ne peut que les avertir. Il en est de même pour la réglementation, la durée et les conditions de l’apprentissage; tout cela vient d’usages surannés, qu’on maintient par aveuglement ou par résignation. Il serait bien temps d’établir une juste proportion entre les avantages du métier et les sacrifices exigés de l’apprenti. A défaut de la loi, qui n’a pas le droit d’intervenir, qu’on s’adresse au bon sens des contractans. Un abus signalé et constaté est à demi vaincu. Ce serait peut-être là le meilleur résultat d’une enquête; mais pour qu’une enquête soit vraiment utile, il faut que les ouvriers la connaissent; il faut qu’ils aient assez d’instruction pour puiser aux sources les renseignemens dont ils ont besoin et pour s’intéresser aux questions générales. Soit qu’on pense au perfectionnement de l’industrie ou à l’amélioration du sort des ouvriers, la nécessité de l’instruction revient partout. C’est le premier et le dernier mot de toutes les réformes.

Nous venons de tracer un tableau bien sombre. Il faut cependant, pour le compléter, parler de la manière dont sont traités certains apprentis par les hommes qui se sont chargés de leur donner un état, et qui en réalité ne font que les exploiter. Ce mot de patron fait illusion au premier moment; on songe toujours à un chef d’établissement qui ajoute à sa famille un ou deux enfans étrangers et les élève paternellement avec les siens. On se dit aussi, pour se tranquilliser, que le vrai père, en confiant son fils, ne l’abandonne pas. Il peut bien n’avoir pas assez d’instruction ou d’intelli-