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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/746

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morale des peuples, n’a trouvé des apôtres plus ardens et plus convaincus.

Nous attendons aussi beaucoup des écoles. Nous comptons particulièrement sur l’émotion publique, si jamais la lumière se fait sur le sort de ces milliers d’enfans qui souffrent sans être plaints et sans comprendre leur mal. Nous n’avons pas dit, tant s’en faut, la moitié de leurs misères, et pourtant, nous le savons, tout le monde ne nous croira pas. Personne ne dévoilera jamais une des plaies de la société moderne sans être accusé aussitôt d’exagération et d’imprudence. Il y a toujours une réponse prête à nos lamentations : elle consiste à opposer le bien, qui est réel et que nous ne contestons pas, au mal, qui est réel aussi, et qu’on ne devrait jamais oublier. Quel homme de bon sens voudrait entreprendre de soutenir qu’il n’y a pas en grand nombre d’excellens patrons, aimant leurs apprentis, leur faisant du bien, ménageant leurs forces, surveillant leurs mœurs, attentifs à leur enseigner tous les secrets de la profession, et restant leurs amis après avoir été leurs maîtres? Ceux-là nous réjouissent et nous consolent; ils ne nous dispensent pas de signaler la conduite des autres et le mal qui résulte d’une loi insuffisante. On voudrait, pour nous accorder le droit de nous plaindre, que nous eussions les mains pleines de remèdes infaillibles! Voilà bien le mal français : ou la résignation poussée jusqu’à la lâcheté, ou une révolution. Il faut d’abord connaître la maladie; c’est le commencement de toute réforme, et quand on la connaît, il ne faut ni s’irriter, ni se décourager: la colère et le découragement sont les deux formes de la faiblesse. Le vrai rôle d’un ami de l’humanité, d’un ami de son pays, est de chercher avec patience, avec persévérance, de ne jamais dédaigner les petits remèdes et les humbles réformes. En un mot, et c’est là le point capital, on ne doit jamais cesser de marcher en avant, à grands pas si on le peut, lentement s’il le faut.


JULES SIMON.