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REVUE DES DEUX MONDES.


Et la mère à son tour, vous la verrez venir,
— Pauvre âme ! — en vos sentiers, tremblante et l’œil aride.
Se demandant pourquoi les champs peuvent fleurir
Quand son cher bien-aimé dort sous le sable humide.

Les petits, les souffrans, vous les avez vus tous…
Oui, vous les connaissez, les épreuves humaines !
Et c’est pourquoi je viens à vous, sœurs des verveines,
Véroniques aux yeux sympathiques et doux !

Je viens, près de la source où boit la tourterelle,
Vous parler de mes morts et des mondes meilleurs.
Et des joyeux printemps d’autrefois, et de celle
Dont le regard est clair et frais comme vos fleurs.

Véroniques, salut ! — Sans remède est ma peine.
Et vos calices bleus ne sauraient la guérir ;
Le mal dont j’ai souffert, j’en veux toujours souffrir.
Car ce mal, c’est l’amour, véroniques du chêne.


II. — LES CHERCHEUSES DE MUGUET.


La mère et son enfant s’en vont par les futaies.
La mère a l’œil terne et muet,
Et l’on voit son sein hâve et maigre sous les plaies
De son corsage de droguet ;
Tête nue et pieds nus, l’enfant d’un air sauvage
La suit, et toutes deux rôdent sous le feuillage
En cherchant des fleurs de muguet…

Des muguets !… Pour les vendre ! — Au fond de leur demeure
Tout est vide, huche et grenier ;
Il ne reste au logis qu’un nourrisson qui pleure
Dans son étroit berceau d’osier. —
La ville où tout se vend leur paiera ces fleurettes.
À l’œuvre donc ! Muguets aux mignonnes clochettes,
Répandez-vous dans leur panier !

À travers les fourrés et les herbes mouillées.
Elles passent, les pieds en sang…
Cependant le soleil glisse sous les feuillées.
Mystérieux comme un amant
Qui visite en secret, le soir, son amoureuse ;
Tout scintille, les fleurs et la mousse soyeuse.
Que leur fait le soleil levant ?

Toujours plus loin, toujours, par la chaleur croissante
Elles marchent, courbant le dos.