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VERONICA SILVESTRIS.


Sur la feuillée épanouie,
Tout à coup une fine pluie
Descendit du ciel assombri,
Et sous une hutte voisine,
Au toit moussu tout en ruine,
Nous courûmes chercher abri.

Pauvre demeure, et pourtant chère !
L’averse menue et légère
D’un bruit frais remplissait le bois ;
Au loin, les cloches de la ville
Résonnaient, et dans notre asile
Le vent d’est apportait leurs voix.

Elles semblaient me chanter : — Ose !
Parle ! — Et ma bouche longtemps close
S’ouvrit pour dire que j’aimais…
Aussitôt sa main frémissante
Referma ma lèvre tremblante
Avec ce simple mot : — jamais !

Jamais ! — Sur mon visage encore
Je sens, comme un feu qui dévore,
Le contact de ses petits doigts…
Jamais ! — Nous quittâmes la hutte. —
On entendait comme une flûte
Le loriot au fond du bois.

Elle écoutait, pâle, oppressée ;
On devinait qu’en sa pensée
Un cruel combat se livrait.
Ses yeux essayaient de sourire.
Et nous suivions sans rien nous dire
La lisière de la forêt.

Jamais ! — Les bouleaux et les charmes
Secouaient leurs branches en larmes,
Et les rossignols des entours
Modulaient dans l’ombre des chênes
L’hymne des incurables peines
Et des impossibles amours.


André Theuriet.