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Après Joseph — Zampa, l’Étoile du Nord, le Pardon de Ploërmel, pourront naître sans risque de faire éclater la tradition, de même qu’avec Une Folie s’ouvre une fenêtre sur tout le galant répertoire de Boieldieu, d’Auber et de leurs satellites. J’ouvre la correspondance de Weber, et j’y trouve un passage d’une application trop directe à nos mœurs actuelles pour ne pas être médité. « Une partition comme celle de Joseph, écrit l’auteur du Freyschutz et d’Euryanthe, n’est plus possible de nos jours, parce qu’il n’existe plus de musicien capable, sans le secours d’un orchestre pompeux, éblouissant, et par la seule intensité du sentiment, par la seule chaleur, la seule vérité de ses idées, de produire sur le public un effet profond et durable. Qui pourrait demeurer insensible à de tels accens tout imprégnés, je ne dirai pas du souffle antique, mais du plus pur esprit de la Bible? Là, point de clinquant, de parasitisme, aucune phrase à chatouiller plus ou moins agréablement l’oreille; la simple vérité toute nue, et, signe distinctif d’une main expérimentée, une instrumentation toujours sage, toujours modérée, sachant, en limitant ses ressources, atteindre aux effets les plus grands! « Dans Une Folie, Méhul n’a affaire qu’à des personnages du moment, des types parisiens. Pour trouver le style et l’expression de sa musique, il lui suffit en quelque sorte de regarder autour de lui. Avec Joseph, c’est autre chose : pour des caractères, des mœurs, des pays qu’il s’agit de peindre, il va sans dire que sa propre observation ne lui fournit plus un seul trait; à l’imagination maintenant d’évoquer l’inconnu, de se représenter des scènes d’un monde antérieur, de traduire des passions qu’on n’a point vécues; au peintre de portraits de devenir un Eustache Lesueur, car c’est une fresque musicale que cette partition de Joseph, la vraie fresque d’un maître français, un peu grise de ton, manquant d’éclat, mais d’un sentiment, d’un pathétique, d’une pureté de dessin et de composition à tout défier.

Lorsque je réfléchis aux conditions d’une telle œuvre et que j’entends le bruit qui se fait autour des théories de Richard Wagner, je crois rêver. Qu’y a-t-il donc de nouveau dans ces systèmes? Quelle loi organique de l’opéra moderne tous ces prétendus prophètes de l’avenir mettent-ils en avant que ce musicien du passé ne se trouve avoir accomplie? Écoutez cet orchestre toujours sobre de parti-pris, où la modulation n’intervient qu’à l’appel de la vérité dramatique, cet accompagnement toujours en rapport avec la nature du sujet, et demandez-vous ensuite s’il est vrai, comme on nous le raconte, que cette simultanéité d’expression soit une découverte de notre temps. De l’instrumentation passons à la peinture des caractères : autre invention qu’on se plaît à s’attribuer. Joseph, Siméon, Benjamin, Jacob, voyons-nous que ce soient là des figures qui manquent de plasticité, des caractères impersonnels, abstraits, des héros de tragédie classique comme en imaginait à la même époque Marie-Joseph Chénier? Qu’ils chantent tous ces personnages, et comme ce philosophe qui pour prouver le mouve-