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ment marchait, ils vous convaincront aussitôt de leur individualité musicale. Les souvenirs et les tristesses de Joseph, les remords et le repentir de Siméon, la candeur de Benjamin, la douleur du vieux Jacob, sa colère, sa joie, autant de motifs admirables traités avec l’inspiration et le talent d’un maître que nuls principes de ceux qui vraiment conviennent à son art ne sauraient prendre au dépourvu. « Pour relever tous les mérites de ce magnifique poème musical, continue Weber, il faudrait écrire des volumes. » Oui, certes, mais à quoi bon? La barbarie, bien qu’elle gagne chaque jour du terrain, ne nous a pas encore tellement envahis qu’elle ait chassé de chez nous toute notion du vrai, du beau, et le chef-d’œuvre, quoique disparu de la scène, n’en est pas réduit, grâce à Dieu, à vivre de la seule vie que donnent les commentaires. Quelque mal que prennent certains esprits médiocres à embrouiller les questions, à corrompre le goût, la vérité n’en conserve pas moins son influence sur un bon nombre d’artistes, sur une grande partie du public. « D’ailleurs, s’écrie Weber en terminant, la beauté des œuvres de cet ordre-là ne se prouve point, il suffit d’en appeler au sentiment de ceux qui les entendent! » Les entendre, c’est aujourd’hui le difficile. Heureusement, à défaut du théâtre, l’enceinte du Conservatoire leur reste ouverte, et on les voit de loin en loin passer de la bibliothèque à la salle de concerts, comme ces souverains qui, sans sortir de leur palais, à certains jours solennels, haranguent les multitudes.

Pour voir se continuer un tel passé, l’Opéra-Comique n’a qu’à se laisser vivre. De Méhul à Hérold, la chaîne par Cherubini, Catel, Berton, est ininterrompue. Un seul parmi ces maîtres n’a pas eu, que je sache, de postérité immédiate : c’est Grétry, Grétry, le père du genre, à ce point qu’on se prendrait presque à dire de l’Opéra-Comique la maison de Grétry, comme on dit du Théâtre-Français la maison de Molière. Pas plus Dalayrac que Nicole, pas plus Boieldieu qu’Adam et Auber ne procèdent de l’auteur de Richard et de la Fausse Magie. Monsigny seul, dans le Déserteur, a quelque chose du bonhomme. Bonhomme! entendons-nous, dans le sens du mot quand on l’applique à La Fontaine. Grétry tient en don ce qui en musique ne s’est plus rencontré chez nous, le naturel. Sous ce rapport, Sedaine et lui étaient faits pour s’entendre, comme plus tard, mais en de tout autres conditions. Scribe et Auber. Par le naïf, le pathétique, un je ne sais quoi de profond et de vrai dans le rire ainsi que dans les larmes, de même que par l’incorrection grammaticale, l’absence de style, leurs deux génies se ressemblaient; ni l’un ni l’autre ne savaient écrire, et cependant, soit réunis en collaboration, soit séparés, ils ont su produire des chefs-d’œuvre. Cette tradition de Grétry, longtemps perdue, je la retrouve aujourd’hui chez M. Grisar, mais combien affaiblie, modifiée par toute sorte d’influences climatériques! L’effet ici est cherché, le naturel voulu; c’est la manière du maître, agrémentée des mille curiosités du goût moderne. Gilles ravisseur me rap-