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réussi à orner les places et les voies principales d’arbres magnifiques que les plantations actuelles sont encore bien loin d’égaler.

C’est du règne de Henri IV que datent les premiers travaux de ce genre. L’initiative en est due à François Miron, qui administrait Paris à cette époque, et qui fit de ses propres deniers planter six mille pieds d’arbres. Le dernier des survivans est un orme que l’on peut voir dans la cour de l’institution des Sourds-Muets, le plus beau peut-être qui existe en France. Sans parler des jardins du Luxembourg, du Palais-Royal, des Tuileries, qui étaient en quelque sorte des créations particulières dont le public ne profitait pas, les plantations de Paris furent continuées sous les règnes suivans. C’est à Richelieu qu’on doit le Jardin des Plantes et la promenade du Cours-la-Reine. Sous Louis XIV, on détruisit les fortifications qui entouraient Paris, on combla les fossés sur lesquels on planta des arbres, et l’on créa ainsi cette belle promenade des boulevards qui ne fut terminée qu’en 1760. Chaque règne depuis lors apporta son contingent et se signala par quelque création nouvelle. Malheureusement les émeutes, si fréquentes à Paris, furent mortelles pour les arbres comme pour beaucoup d’autres choses. Dans ces momens d’effervescence, on ne trouvait rien de mieux que de les jeter au travers des rues pour empêcher la circulation. On fit si bien que, dans l’intérieur même de Paris, il n’existe plus que fort peu d’arbres antérieurs à 1848, et que la plupart des plantations ont dû être renouvelées depuis cette époque.

L’utilité des plantations urbaines n’est mise en doute par personne. C’est une question de salubrité d’abord[1], une question d’embellissement ensuite. Rien en effet ne contribue plus à la beauté d’une ville que l’association de la végétation et de l’architecture. Les anciens savaient apprécier cette utile alliance : de majestueux platanes ornaient les rues d’Athènes, et Rome jouissait d’un véritable luxe de verdure; mais la bonne volonté ne suffit pas, et dans une ville comme Paris une entreprise de ce genre se complique de considérations qui ne relèvent en rien de l’art. Virgile a dit quelque part qu’il y a des essences d’arbres pour tous les terrains, même les plus ingrats; nous doutons pourtant qu’il y en ait une seule qui ait quelque prédilection pour le sol de nos boulevards. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler en quoi consiste le phénomène de la végétation et les conditions qu’il exige pour se produire. L’arbre se compose de trois parties distinctes, — les racines, la tige et les feuilles, — dont chacune a son

  1. L’air est composé d’oxygène, d’azote et d’acide carbonique; les animaux, par l’effet de la respiration, absorbent de l’oxygène et dégagent de l’acide carbonique: c’est ce qui fait que dans toute réunion où l’air ne se renouvelle pas l’atmosphère ne tarde pas à se vicier et à devenir irrespirable. Les plantes au contraire décomposent l’acide carbonique de l’air, absorbent le carbone et laissent l’oxygène en liberté; elles agissent donc en sens contraire des animaux, rétablissent l’équilibre dans la proportion des divers élémens de l’air, et détruisent les émanations toxiques qui résultent des trop grandes agglomérations.