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qui avaient du moins conservé la beauté des lignes. De tels monumens, vaincus par le temps et la nature, éveillent d’ailleurs plus d’une grave réflexion. Sur une terre où le catholicisme s’est évanoui, ces anciennes églises sont en quelque sorte les sépulcres d’une religion. Une foule protestante, — des touristes, des Anglaises une ombrelle à la main, — se promène jusque dans le sanctuaire, qui n’excite plus aujourd’hui que la piété des ruines. Le sud du pays de Galles réalise en outre l’idéal de ce que nos voisins appellent un paysage romantique. On n’y trouve pas, comme dans le nord de la principauté, de hautes montagnes au front couronné de nuages; mais on y rencontre des chaînes de collines, les unes boisées, les autres nues, des cultures variées et de belles rivières. La Wye par exemple coule encaissée entre des murs de falaises, ou bien, se recourbant sur elle-même comme une couleuvre, enveloppe de ses plis des prairies basses dont elle forme autant de vertes péninsules.

Il faut pourtant aller jusqu’à Carmarthen (245 milles de Londres), si l’on tient à découvrir ce que les Anglais appellent le caractère welshe[1]. Cette ville, très ancienne, se répand un peu au hasard sur le bord nord-ouest de la rivière Toway, que traverse un vieux pont de pierre en des d’âne, aux arches massives, protégées par des contre-forts. La rive se relève subitement, et il faut gravir une pente ardue et traverser des ruelles aussi étroites qu’escarpées avant de pénétrer de ce côté-là dans l’intérieur de la capitale du Carmarthenshire. Chemin faisant, on rencontre les débris d’un ancien château qui, s’il faut en croire la tradition et l’apparence sinistre d’une ou deux tours, a défié jadis plus d’un siège. Aujourd’hui tombé en décrépitude, envahi et pressé par de pauvres masures, il m’a paru servir à d’assez vils usages. Dans la grande rue s’élèvent trois monumens consacrés à la gloire militaire : une statue en bronze du général William Nott, un obélisque érigé à la mémoire de sir Thomas Picton, qui fut tué à Waterloo, et un autre portant les noms des officiers gallois qui périrent durant la guerre de Grimée. A la vue de ces témoignages d’admiration pour le courage héroïque, on pourrait se croire dans une place de guerre. Il n’en est rien pourtant : Carmarthen est au contraire une ville paci-

  1. Ce nom de Welshes a été donné par les Anglo-Saxons aux habitans du pays de Galles. Quant à ces derniers, ils s’appelaient eux-mêmes Cymri, qui veut dire primitifs. A les entendre, leur langage, qu’ils désignent sous le nom de cymraeg, est le plus ancien qui ait été parlé dans les îles de la Grande-Bretagne. Il ne faut d’ailleurs point accorder une foi aveugle à ces traditions : toutes les tribus celtiques avaient la prétention de se croire autochtones. Aussi certains ethnologistes prétendent que les anciens habitans étaient au contraire une colonie de Belges établis dans le pays de Galles quelques siècles avant l’arrivée de César.