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tulé Yr Haul (le Soleil), et que les érudits du pays de Galles comparent pour le talent à Charles Dickens.

Les eisteddfodau ont beau faire, la langue bretonne est condamnée à périr. De tous les côtés s’élèvent dans la principauté de Galles des écoles où les enfans apprennent l’anglais. Les chemins de fer ouvrent de jour en jour aux touristes et aux relations commerciales cet Éden des fraîches vallées et des collines vaporeuses. Que parlé-je d’ailleurs des attaques du dehors? C’est en elle-même que cette langue porte des germes de dissolution inévitable. Si admirable qu’on le prétende, cet idiome a un défaut qui ne doit point trouver grâce devant le progrès matériel : il ne convient point aux affaires. Frappé d’un cachet ineffaçable par les castes sacerdotales et militaires, il n’a point du tout été fait pour une époque d’industrie, de commerce et de transactions pécuniaires. Il porte jusque dans sa littérature les traits d’un langage arrêté à la période descriptive et poétique. Dans les campagnes, au milieu des fermes, parmi les bergers qui conduisent leurs troupeaux sur le versant des collines, il suffit encore aux rapports de la vie rustique et pastorale; mais dans les villes il meurt au souffle contagieux du commerce, et dans les usines à fer au contact de l’industrie. On a longtemps cherché les causes qui ont amené la décadence des anciens idiomes; peut-être, si l’on s’éclairait par l’exemple des populations du pays de Galles, les trouverait-on dans un fait bien simple. Les langues s’éteignent le jour où elles cessent de répondre au mouvement social des idées. La conquête peut accélérer ce résultat, mais seule elle ne saurait le produire, puisque le welshe a survécu pendant des siècles, dans l’ancienne Cambrie, à la perte de la nationalité. Quelques habitans du pays de Galles reprochent aux Anglais d’en vouloir à leur langue. Que gagnerait l’Angleterre à briser les dernières cordes d’une lyre qui a cessé depuis longtemps d’être hostile? De son côté, le pays de Galles tient par trop de liens indissolubles à la Grande-Bretagne pour rêver une scission qui équivaudrait à un suicide. Ses habitans peuvent bien évoquer dans le cercle magique du gorsedd les ombres des anciens héros bretons et s’écrier «vivent les Wales! » qu’y a-t-il en cela de si menaçant? Au patriotisme il faut une patrie, et les Welshes ne peuvent en avoir d’autre que l’Angleterre. Ils le savent bien eux-mêmes; aussi les plus intelligens et les plus actifs d’entre eux cherchent-ils à se rapprocher autant qu’il est en eux de la race saxonne. La conquête a d’ailleurs ménagé leur amour-propre; c’est, en apparence du moins, la couronne d’Angleterre qui est passée aux Wales[1]. Et puis, consolation suprême,

  1. Edouard Ier, voyant que les Welshes étaient domptés, mais non soumis, imagina d’envoyer la reine d’Angleterre faire ses couches à Carnarvon, dans le pays de Galles. «Maintenant, leur dit-il, je vous donnerai un chef né parmi vous et, qui parlera votre langue. » C’est depuis ce temps-là que les fils aînés du souverain, héritiers présomptifs de la couronne, prennent le titre de prince de Galles.