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des fenêtres, elles étalent avec un naïf orgueil un seuil blanchi à la chaux. La porte est presque toujours ouverte, et l’intérieur ne manque point de propreté[1]. Le regard découvre du dehors dans une pénombre un bahut en acajou chargé de verreries et de porcelaines, des chaises rangées avec ordre, des instrumens de ménage en cuivre ou en étain aussi polis et aussi luisans que s’ils étaient d’or ou d’argent, et dans un coin la maîtresse du logis assise, qui travaille à quelque ouvrage d’aiguille. Les enfans jouent dans la rue, sur le devant de la maisonnette; ils sont frais et bien portans, mais barbouillés, crottés, bourbeux : on dirait des boutons de rose ramassés dans la boue. Des poules se promènent aussi autour du seuil comme si elles étaient sur leur terrain, et entrent même quelquefois dans l’intérieur de la chambre, au rez-de-chaussée, dont le plancher est recouvert d’une légère couche de sable. Si j’en crois une statistique publiée il y a quelques années, l’éducation des habitans laisse beaucoup à désirer. Sur 695 couples mariés en 1845, 1,016 personnes étaient incapables de signer leur nom. L’instruction a fait depuis ce temps-là quelques progrès à Merthyr Tydvil; mais la plupart des parens, déterminés par l’appât du gain, envoient plus volontiers leurs enfans à l’usine qu’à l’école. Les salaires sont assez élevés; les meilleurs ouvriers gagnent près de 7 livres sterling (175 francs) par mois; ce n’est donc point tout à fait dans la mauvaise rétribution du travail qu’il faut chercher la cause de leur misère. L’industrie, surtout celle du fer, exige une alimentation plus forte que le labeur agricole; elle entraîne en outre plus facilement aux goûts de dissipation et à l’abus des liqueurs fortes[2]. Il en résulte que les ouvriers des usines, tout en gagnant deux fois plus que les ouvriers des fermes, n’en sont pas pour cela beaucoup plus riches. Où donc ont-ils alors trouvé de l’argent pour bâtir les nombreuses chapelles qui s’élèvent à Merthyr Tydvil, et dont quelques-unes affectent d’assez grands airs d’architecture? La religion est pour eux le seul lien qui les rattache à l’idéal; il n’y a que le temple où le dimanche ces hommes, courbés toute la semaine sous le travail manuel, entendent une parole qui les élève un instant au-dessus du cercle étroit et monotone des habitudes journalières. Il ne faut donc

  1. Cette habitude de vivre en quelque sorte dans la rue entraîne plus d’un inconvénient. Le samedi, grand jour de nettoyage, on voit les hommes tout noirs de la mine ou de la forge, les enfans, quelquefois même les femmes, se laver dans un état alarmant de nudité.
  2. On accuse aussi les femmes de se livrer entre elles à des parties de thé où se dépense beaucoup de temps et d’argent. L’ouvrier, revenant à la maison et ne trouvant point son souper prêt à l’heure, n’en est que plus porté à fréquenter les cabarets.