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qu’en dépit de son rôle de novateur il continue à quelques égards des traditions invétérées, et que, comme Léopold Robert, mais avec moins de retenue encore, il laisse percer l’instinct et le goût de la mécanique jusque dans les témoignages de l’art et d’un art poétiquement inspiré.

Lorsque les premiers tableaux de Calame parurent à Genève et dans quelques autres villes de la Suisse, de pareilles imperfections, rachetées d’ailleurs par les preuves d’un talent incontestable, risquaient assez peu de compromettre le succès du peintre auprès de gens naturellement enclins à l’indulgence. Aussi, ni parmi les artistes, ni dans le public, personne ne songea-t-il à lui reprocher des torts de détails que chacun se fut involontairement donnés à sa place. On ne vit pas ce qui, dans l’exécution, pouvait en partie démentir les conditions implicites et les caractères généraux des sujets; on se contenta d’admirer que ces sujets eussent été traités et qu’un artiste se fût rencontré pour dire tout haut ce que M. Diday n’avait encore qu’assez timidement murmuré, pour regarder en face et pour rendre sans hésitation des vérités que celui-ci avait entrevues et pressenties plutôt qu’affirmées. Bref, aux yeux de tout le monde, le paysage alpestre avait trouvé son peintre : il eut bientôt son théoricien.

Dès l’année 1843, Rodolphe Töpffer publiait dans la Bibliothèque universelle de Genève un véritable manifeste où, après avoir fulminé contre «les doctrines conventionnelles du feuilleton et les traditions d’école ou d’atelier, » il proclamait l’avènement du nouveau dogme, en définissait les principes, en célébrait un peu emphatiquement les vertus, sauf à condamner sans marchander les obstinés ou les incrédules à se morfondre en dehors de « cette enceinte nouvelle où, s’écriait-il, l’art pressent des moissons à faire et des palmes à cueillir. » Et il ajoutait : « Artistes, mes compatriotes, ne le perdez pas de vue, ce domaine; faites-en la garde, profitez des beaux jours pour vous y introduire un à un, guettant, regardant, observant, étudiant; puis, le moment venu, jetez-vous-y en foule sur la trace du plus habile, et que la gloire de votre conquête illustre la patrie ! »

La foule ne se précipita point dans le champ de l’art, comme Töpffer le lui recommandait avec quelque excès de confiance peut-être dans les aptitudes du génie national; mais elle avait reconnu déjà, elle continua de saluer dans Calame « le plus habile, » et les plaidoyers, on dirait presque les prédications esthétiques de l’écrivain aidant, la cause du paysage alpestre se trouva à peu près gagnée, même au-delà des frontières de la Suisse. Il y eut bien çà et là quelques résistances. En France, par exemple, la critique, tout en louant unanimement le talent du paysagiste genevois à mesure