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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/863

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que les preuves de ce talent se succédaient au Salon, la critique ne laissa pas d’hésiter quelquefois sur l’excellence de la doctrine et même d’en signaler en passant les côtés défectueux ou les dangers; mais on tint moins de compte, en général, des principes que Calame entendait faire prévaloir que de la manière dont il savait les mettre en œuvre. Quelques années s’étaient écoulées à peine depuis les débuts du peintre que celui-ci avait déjà conquis une renommée universelle, et que les commandes de tableaux pour les palais de la France, de la Russie ou de l’Allemagne, aussi bien que pour les collections particulières dans plusieurs autres pays, les distinctions honorifiques, les récompenses et les succès de toute sorte lui étaient venus pour se renouveler ensuite et se multiplier de plus en plus.

A aucune époque néanmoins, l’importance attachée aux œuvres qu’il avait signées n’inspira à Calame la pensée, la tentation même de spéculer sur sa réputation et d’exploiter le passé au profit de l’heure présente. Avide de progrès, passionnément épris de son art, jamais il ne se reposa dans la situation qu’il s’était faite; jamais il ne prit conseil de la célébrité acquise pour s’épargner de nouveaux efforts, s’accommoder de travaux faciles ou s’abaisser jusqu’à vendre son nom. A la fin de sa vie comme au commencement de sa carrière, il abordait chaque tâche avec un tel emportement de zèle, il la poursuivait avec une si opiniâtre application, qu’il en perdait même le sentiment du besoin ou de la fatigue, et que bien souvent, le soir venu, le repas du matin se retrouvait intact dans l’atelier, sur la table où il était déposé depuis bien des heures. Peut-être les mœurs simples et invariablement laborieuses de Calame ne réussirent-elles pas toujours à écarter de lui les accusations de hauteur et d’orgueil; peut-être cette existence partagée tout entière entre l’étude et les joies tranquilles du foyer domestique servit-elle quelquefois de prétexte à des allégations malignes que le monde porte d’ordinaire contre les gens qui se passent trop volontiers de lui. Certains bruits parvenus jusqu’en France donneraient du moins à penser que ces petites tracasseries, assez communes dans la société genevoise, ne furent pas épargnées à Calame, et que, même parmi ceux qui avaient fait profession d’abord d’être ses admirateurs ou ses amis, quelques-uns essayèrent, en dénigrant le peintre, de se venger de l’homme, de ses apparentes froideurs, de sa célébrité grandissante, et aussi de l’accroissement de sa fortune.

S’agissait-il d’autres ennuis à subir, d’autres fatigues à braver; fallait-il entreprendre de pénibles courses dans ces montagnes tant de fois visitées, mais qui pouvaient révéler à l’artiste quelque secret encore, fournir l’occasion de quelque progrès : nous voyons