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que neuf et utile) comment nous dépassons nos connaissances. Cela nous arrive de trois manières au moins. Il y a d’abord cette inconduite de l’esprit qui consiste à tirer une proposition particulière d’une proposition générale où elle ne se trouve pas : c’est le cas bien connu du sophisme. Il y a ensuite les inductions vicieuses, pratiquant l’erreur inverse, tirant une proposition générale de faits particuliers qui ne la contiennent pas : ceci est le cas d’une observation imparfaite, d’une conclusion prématurée. Il y a enfin, en dehors du raisonnement et de l’expérience, l’erreur qui peut se rencontrer dans l’imagination et dans ses œuvres.

Qu’est-ce au juste qu’imaginer? Ce n’est pas créer, bien sûr : l’homme ne crée pas plus avec son esprit qu’avec ses mains; pour l’une et l’autre besogne, il a besoin de matériaux préexistans. Imaginer a lieu de plus d’une façon. Tantôt c’est réunir sur un seul être ou sur une seule situation des traits, des accidens qui d’ordinaire sont épars et exceptionnels : de là le roman, le drame avec ses héros et ses aventures. Tantôt c’est supposer une cause au lieu de la chercher dans les faits ou dans le raisonnement; c’est deviner au lieu d’étudier : de là les hypothèses, les sectes, les systèmes préconçus. Tantôt c’est évoquer ou subir l’image des choses qui nous plaisent : inutile de dire les images évoquées par don Juan, dont nous parlions tout à l’heure, ou subies par un anachorète tel que saint Antoine; dans ce dernier cas, Malebranche flattait l’imagination quand il l’appelait la folle du logis.

Il ne faut pas croire que l’imagination soit une source d’erreur nécessaire. La fiction ne se trompe pas et ne nous trompe pas quand elle nous montre des caractères et des situations traités, développés selon la nature et la logique humaine. Ici l’imagination ne se trompe que quand elle compose des êtres avec des qualités disparates, avec des matériaux qui ne peuvent coexister. L’hypothèse elle-même, dans l’ordre des explorations scientifiques, l’hypothèse ne se trompe pas toujours. A faire œuvre de conjectures et d’aperçus, on ne s’égare pas nécessairement. On rencontre quelquefois la vérité, tout en la cherchant mal : on la devine. Christophe Colomb a deviné l’Amérique. Les anciens, si j’en crois d’Alembert dans sa fameuse préface de l’Encyclopédie, avaient deviné la gravitation. Il y a plus, tel procédé sophistique nous conduit quelquefois à la vérité. Sans doute c’est un sophisme que de conclure du particulier au général, presque toujours une erreur, mais pas toujours. Ainsi il est certain qu’on peut juger sur échantillon : ab uno disce omnes. Nous n’en faisons pas d’autres quand nous émettons un jugement sur l’esprit d’une race, d’un métier, d’une classe, d’une époque. Il est certain encore qu’on peut juger de ce qui sera par ce qui a été