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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/882

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ou par ce qui est : « le présent, né du passé, est gros de l’avenir, » a dit Leibnitz. Procéder ainsi est le fait de certains esprits qui ne se trompent pas toujours dans cette direction, soit parce qu’ils sont perçans et intuitifs, — tout leur est point d’appui, trait de lumière, — soit parce que les choses se touchent, s’identifient dans leurs conditions intimes, de telle façon que l’ensemble se laisse apercevoir dans la partie.

Toutefois il ne faut pas trop compter sur cette rencontre de l’imagination avec les causes, quand elle les cherche par la voie de l’hypothèse. Ici le propre de l’imagination est de nous tromper; mais il faut voir comment et considérer de près le mécanisme de cette illusion. Elle nous trompe, dis-je; mais ce n’est pas, comme on se le figure volontiers, par la fougue de ses écarts multipliés, par sa luxuriance en quelque sorte : c’est bien plutôt par sa pauvreté. Elle a par exemple des bornes qui la circonscrivent, qui lui font un type absolu, un horizon infranchissable en nous-mêmes. De même que le reflet des choses en nous est la vérité, on peut dire que l’erreur ou du moins une face principale de l’erreur, c’est notre propre nature imposée aux choses, et comme nous avons des bornes que n’ont pas les choses, on juge tout d’abord ce que peut être cette erreur du fini mesurant l’infini à sa taille. Quand nous n’avons ni axiomes ni observations pour nous guider en certains sujets, quand il s’agit pour nous d’expliquer ou de créer certaines forces, certains pouvoirs, notre habitude est de supposer des êtres semblables à nous, ou plutôt de personnifier des choses, des idées à notre image. S’agit-il des pouvoirs éternels qui gouvernent la nature, ces pouvoirs sont des dieux, et ces dieux sont des hommes auxquels on ajoute l’infini en toutes choses. S’agit-il des pouvoirs qui gouvernent l’humanité sociale, encore des hommes, avec l’excellence d’un père. S’agit-il enfin des pouvoirs, des forces qui entretiennent la vie physique, c’est toujours l’homme que nous imaginons et que nous employons à cette fin, en le dégradant cette fois, en l’asservissant. De là les plus grandes erreurs connues : l’esclavage, le pouvoir absolu, le polythéisme. Ainsi tout est de matière humaine dans nos imaginations : divinité, souveraineté, propriété. L’homme est à lui-même toute sa conception, toute son expression. Rien ne lui est plus familier, borné comme il l’est, que de transporter sa nature hors de lui-même, la prêtant ou l’imposant partout, pour fonder la religion, le gouvernement, la production. Il faut la leçon des siècles pour enseigner aux hommes qu’ils ne doivent avoir d’autre souverain que la raison, d’autre dieu que le type et le foyer personnel de la raison, d’autre propriété, d’autre esclave que la nature. Remettre l’homme à sa place, en purger le ciel, le gouvernement des socié-