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lusion. Il ne faut pas dire que l’esprit, est également passif dans les deux cas : dans le premier, il est plus que passif, il est ou il peut être victime et dupe; dans l’autre, il ne peut l’être, à moins d’appartenir naturellement à l’erreur, ce qui est contradictoire à tout le reste de sa nature et au fait même de notre existence. Je conviens que l’homme n’est pas fait pour dire toujours la vérité, encore moins pour la pratiquer; mais il est fait pour être, et dès lors il lui appartient de connaître ce qui est, de savoir la vérité dans la partie au moins qui concerne et intéresse son existence, et cela peut s’entendre de l’avenir comme du présent.

Il convient en outre, parlant de l’illusion que nous font les choses extérieures, de reconnaître les bornes de cette illusion. Nos sens nous trompent peut-être sur certains détails, mais non sur le fond même de ces choses. Tel objet n’a peut-être pas la couleur, le volume, la consistance que nous croyons y apercevoir; mais à coup sûr cet objet est étendu, pesant, coloré : sur ces qualités essentielles, pas d’illusion possible. Appliquant cette vérification à l’idée d’une autre vie, vous aurez peut-être à en rabattre mille accessoires où la fantaisie religieuse des hommes s’est donné carrière. Chaque peuple a son paradis. On peut voir dans les Lettres persanes une peinture fort enjouée de la béatitude selon le Coran. Qu’importent ces nuances dans la sanction, si le fond même de l’idée demeure inaltérable en sa simplicité, si la racine qui console et qui réprime ne peut être atteinte par aucune élimination ?


III.

Tel est l’homme fait pour la vérité, mais sujet à l’erreur, sans que cette infirmité détruise cette puissance, car l’erreur peut être évitée, reconnaissable qu’elle est, soit à l’absence, soit à l’usage vicieux des saines méthodes. En outre elle n’atteint pas le fond des choses qui touchent à notre existence d’individu, sociale ou future, ces choses nous étant révélées par des instincts qui sont en nous les rayons de la réalité, et qui emportent notre foi comme notre obéissance.

Il faut considérer un peu le rôle des instincts dans la destinée humaine. Il n’y a pas de grande chose parmi nous, — vie physique, perpétuation de l’espèce, lien social, — qui n’ait été confiée à l’impulsion des instincts. Je m’imagine que la société la plus pure et la plus intelligente ne vivrait pas huit jours de ses vertus et de ses combinaisons. « La nature, dit Kant, ayant donné à l’homme la raison et le libre arbitre qui s’y fonde, c’était dès lors clairement indiquer comment elle entendait qu’il pourvût à sa destinée : il ne