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restes surannés des états féodaux du clergé et de la noblesse, posait les fondemens de l’instruction populaire sur les écoles de méthode, instituées à l’imitation de celles de la Prusse; enfin il se jetait résolument dans l’entreprise colossale du percement des Alpes. A chacun de ses mouvemens, à chacun des pas nouveaux de la royauté absolue, l’opinion publique applaudissait, et, prenant plus d’élasticité, accélérait la marche. Le roi et la nation avançaient ensemble, et ensemble ils arrivèrent au but, à savoir aux institutions parlementaires de 1848, également préparés, l’un à les octroyer gracieusement, l’autre à les recevoir sans révolution.

Le mouvement libéral prit bientôt une direction qui a été diversement jugée. Charles-Albert crut le moment venu d’accomplir les visées traditionnelles de sa maison, lesquelles n’étaient pas de s’emparer de l’Italie entière, mais de chasser l’étranger de la Haute-Italie. La pensée de l’indépendance rejeta dès lors à l’arrière-plan celle du percement des Alpes. Les millions que Charles-Albert avait amassés pour cette dernière entreprise furent dépensés dans la guerre; lui-même, vaincu, désespéré, jeta sa couronne sur le champ de bataille, et alla mourir en Portugal, laissant inachevés les deux projets qu’il avait embrassés avec tant d’ardeur. Ces tristes événemens, qui furent précipités par des catastrophes et des révolutions étrangères, firent oublier M. Maus, sa machine, et le projet qui avait été si populaire en Piémont. Quand l’opinion publique y revint, on fut moins disposé à voir les choses par leur bon côté. Les esprits, découragés par les désastres de la patrie, ne saisirent plus la grande idée du percement des Alpes avec le même enthousiasme qu’avant 1848. On peut suivre les traces de ce découragement dans les procès-verbaux et dans le rapport général de la com- mission gouvernementale chargée en 1849 d’éprouver le système de l’ingénieur belge. Dans cette commission figurent déjà deux noms que l’on verra intervenir dans toutes les discussions scientifiques relatives à la percée des Alpes, M. Menabrea et M. Paleocapa, Vénitien réfugié en Piémont, ingénieur distingué, longtemps ministre des travaux publics et actif collaborateur du comte de Cavour. Le rapport général fut présenté en 1850 par M. Paleocapa. Il élevait des objections sérieuses sur l’efficacité du mécanisme de perforation de M. Maus. La principale portait sur le câble moteur. Ce câble suffirait à la transmission du mouvement sur une faible distance, mais suffirait-il sur la moitié de la longueur du tunnel, c’est-à-dire sur plus de 6 kilomètres, sans compter la distance de la prise d’eau à l’entrée de la galerie? L’aération par des ventilateurs centrifuges tournant avec l’axe des poulies ne paraissait pas assez énergique pour fournir l’air vital aux ouvriers travaillant au