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fond du tunnel. Le système d’attaque de la roche par des ciseaux et des coins au lieu de la barre à mine et de la poudre, système préféré par l’inventeur pour éviter la dépense de l’air que consomme l’explosion des mines, se tournait contre lui, contre son invention : on le trouvait défectueux précisément en ce qu’il se privait de la force incomparable de la poudre, de cet auxiliaire puissant du mineur moderne, pour revenir à la manière primitive d’abatage de la roche, aux ciseaux et aux coins des Romains, à la pointerole des Sarrasins. Enfin la commission insistait sur les côtés faibles de l’invention, et quand elle en signalait les côtés réellement applicables à la perforation mécanique, elle était bientôt arrêtée par la pensée des malheurs publics et de l’épuisement des finances de la monarchie.

C’était là en effet le grand obstacle à l’entreprise du tunnel avec la machine Maus ou avec tout autre engin. Leg finances étaient épuisées par la guerre et par l’indemnité autrichienne. Il fallait les restaurer, il fallait cicatriser les plaies de la patrie et donner à l’état le temps de respirer avant de s’engager dans des travaux qui allaient coûter des millions. Cette œuvre de restauration, ce fut M. de Cavour qui l’entreprit. M. de Cavour arriva au pouvoir par un coup de maître qui a fait la fortune du Piémont et de l’Italie, par la fusion célèbre appelée le connubio (le mariage), accomplie d’abord au sein du parlement et bientôt dans le pays entre les élémens actifs de la conservation et de la révolution. Dès lors, tour à tour conservateur et révolutionnaire, contenu et entreprenant, timide jusqu’à décourager ses amis de gauche et audacieux jusqu’à effrayer ceux de droite, il a porté dans toutes les questions économiques et de travaux publics, comme dans la conduite générale de la politique intérieure et extérieure, le double caractère qu’il a tiré de son origine, les deux élémens sur lesquels il a édifié sa fortune, la prudence du vieux royaliste piémontais et la témérité du carbonaro italien. Pendant cette période obscure et laborieuse que les états sardes ont traversée après la défaite de Novare, M. de Cavour tend des ressorts sur lesquels les hommes d’état les plus courageux n’osaient pas encore peser : il joue avec le libre échange dans un pays habitué à la protection; il joue avec le taux de l’intérêt dans un pays où le capital monnayé est peu abondant; il découvre franchement le travail national devant la concurrence étrangère et l’emprunteur devant le prêteur, pour les forcer l’un et l’autre à redoubler d’activité et de prévoyance. Dans la question des chemins de fer, la plus grande qui ait agité l’opinion depuis la guerre de Lombardie jusqu’à l’expédition de Crimée, il abandonne le système de la construction par l’état qu’avait suivi Charles-Albert, il appelle les com-