Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/906

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de traverser au sommet de cette montagne plutôt que de passer par une galerie à 1,300 mètres, proposent une opération qui n’aurait d’autre résultat que d’allonger le trajet de 140 kilomètres. »

La concession du passage sur le Mont-Cenis fut néanmoins adoptée par le parlement sarde, et, circonstance remarquable, sans que le député Sommeiller, le créateur des machines qui fraient maintenant le passage sous la montagne, y fît opposition. Il donna néanmoins son avis sur ce projet, qui semblait rendre inutile son système de perforation des tunnels. « Certes, dit-il, la mécanique est assez riche pour ne pas reculer même devant la verticale; mais si on veut la mettre d’accord avec les sages principes de l’économie, avec les lois de l’intérêt et du progrès utile, il faut alors descendre du possible absolu dans le possible réel, pratique, profitable. » Quant à M. de Cavour, il se prêtait volontiers aux tentatives, même chimériques. Toujours en lui se montre l’homme aux expériences hardies à côté de l’homme de gouvernement qui assure chacun de ses pas. Son but d’ailleurs était d’intéresser de plus en plus la compagnie française des chemins de fer de la Savoie au vrai passage des Alpes, à celui qui pouvait seul les supprimer, à la construction du grand tunnel, et il y réussit par une autre combinaison, violemment combattue au moment où elle se produisit, qui étendait la concession du Victor-Emmanuel sur le versant italien des Alpes jusqu’au pont de Buffalora sur le Tessin. Les grands états ignorent le genre d’émotion dont fut alors saisi le petit Piémont, habitué à considérer ses chemins de fer au point de vue de l’utilité stratégique et jaloux de son indépendance, quand une grande compagnie étrangère, une vaste administration obéissant aux ordres de son conseil, établi à Paris, vint s’étendre sur tout l’ancien état sarde, le couper dans sa plus grande longueur, depuis le défilé de Culoz, aux mains de la France, jusqu’à la gueule des canons des forteresses autrichiennes, avec la seule interruption du Mont-Cenis. Il fallut à M. de Cavour toute l’autorité dont il jouissait pour faire accepter cette combinaison, et pour l’accepter lui-même il lui fallut peut-être aussi un élément qui échappait au public, la connaissance des intentions secrètes du chef de la France, car cette combinaison, qui mettait sous la main d’une même compagnie la grande voie qu’allaient parcourir les soldats de Magenta et de Solferino, se place en 1857, entre le congrès de Paris et l’entrevue de Plombières; mais le public n’entrevoyait pas alors les secrètes combinaisons de la politique de M. de Cavour. Le but qu’il poursuivait dans cette extension de la concession du Victor-Emmanuel fut atteint immédiatement : la compagnie, intéressée à supprimer la barrière du Mont-Cenis, qui coupait sa ligne en deux, s’associa avec l’état pour