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les ouvriers et les machines noyés, la vallée de la Maurienne exposée à un nouveau déluge ! On n’était pas sans inquiétude à ce sujet, même en Piémont. Le général Giacinto di Collegno écrivit en 1850 à M. Élie de Beaumont pour avoir son avis. Dans la réponse du savant géologue, qui fut produite au parlement sarde, la possibilité des eaux intérieures est admise; « mais, dit M. Élie de Beaumont, craignant de m’en rapporter à cet égard à mes propres lumières, j’ai saisi, cette semaine, l’occasion de mettre la question sur le tapis dans une conversation à laquelle prenaient part M. Dufrénoy, M. Boussingault, M. Combes, professeur d’exploitation à l’école des mines, et M. Régnault, ingénieur des mines, professeur de physique au Collège de France. Ces messieurs ont tous pensé que, si on approchait de grands amas d’eau, on en serait averti par des filtrations qui auraient lieu d’autant plus probablement que l’eau serait soumise à une plus forte pression. » Comme on faisait de l’existence de ces eaux intérieures un argument contre le projet de loi du percement des Alpes, M. Menabrea répondit : « Eh bien ! si nous rencontrons de l’eau, nous la laisserons couler par le plus bas. » Aux partisans des cavernes et des abîmes, on dit : « Tant mieux ! nous les comblerons, nous les franchirons par des ponts, et ce sera autant de percé. » Aucun obstacle, réel ou imaginaire, ne déconcertait les partisans de l’idée du percement des Alpes, qui offre en cela plus d’un trait d’analogie avec l’idée italienne.

La mécanique avait une tâche à remplir bien plus grande encore que celle de la géologie. Il ne suffisait pas de révéler la nature des milieux, il fallait encore trouver l’instrument propre à les perforer. L’esprit d’invention, fortement excité par la grandeur de l’œuvre, a produit des machines très ingénieuses. Celle de M. Maus ayant été définitivement écartée, un ingénieur anglais, M. Bartlett, en construisit une pour laquelle il prit un brevet d’invention du gouvernement sarde au mois de juin 1855. C’était une machine à vapeur locomobile, à cylindre horizontal. Au premier coup d’œil, on ne voyait pas ce qui la distinguait de ces élégantes machines à vapeur que la mécanique agricole et industrielle produit aujourd’hui par milliers; mais en l’observant de près on apercevait bientôt des organes nouveaux qui en constituaient l’originalité et la rendaient applicable aux travaux de mine. Ce qu’on prenait d’abord pour un seul cylindre horizontal en formait réellement deux, couchés à la suite l’un de l’autre. Dans le premier se mouvait le piston à vapeur, dont la tige portait un autre piston engagé dans le second cylindre. Rien jusque-là ne s’écartait encore de la mécanique ordinaire des machines à vapeur; mais voici l’idée nouvelle, le trait d’invention: un troisième piston, plus long, plus fort que les deux premiers et