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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/911

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prime et emmagasine la force motrice à l’aide de laquelle on déchire les entrailles des Alpes est né d’une association fortuite qui, comme le mariage, nous interdit la recherche de la paternité individuelle. Les trois ingénieurs dont il porte le nom avaient été choisis en 1846 par le gouvernement sarde parmi les lauréats les plus distingués de l’université de Turin, pour aller étudier en Belgique et en Angleterre la construction des chemins de fer et les questions techniques qui s’y rattachent. Ils étaient de retour en 1850, réunis autour d’une table à Turin, et fêtant leur arrivée par un joyeux repas d’amis. L’un d’eux ayant mis la conversation sur l’air comprimé, ils résolurent d’en poursuivre l’application à l’industrie et de mettre en commun leurs idées, leurs études et leurs découvertes : noble alliance scientifique dans laquelle chacun avait sa part. Sans s’écarter de la discrétion qui convient en pareille matière, on peut dire que, dans la communauté ainsi formée, l’un a mis sa grande position de fortune, l’autre sa profonde intelligence de la construction des chemins de fer, et le troisième un esprit positif et enthousiaste à la fois, d’une fécondité d’invention remarquable, rompu aux arides problèmes des mathématiques et de la mécanique. Quoi qu’il en soit, de cette raison sociale Grandis, Grattoni et Sommeiller est sortie l’invention destinée probablement à faire une révolution dans le monde industriel. Dès qu’il est possible en effet, une chute d’eau étant donnée, d’utiliser son travail pour produire et accumuler une force motrice douée de la même élasticité que la vapeur, agissant comme elle sur un piston, et pouvant s’appliquer aux mêmes usages, transportable de plus par des tubes à une distance indéfinie du lieu de sa production, et ayant sur la vapeur l’immense avantage de ne pas se condenser; dès qu’il est possible, dis-je, de la produire économiquement, il n’est véritablement pas de limite aux applications qu’elle peut recevoir dans le travail humain. La source en est inépuisable : ce n’est rien moins que l’atmosphère immense qui roule dans l’espace avec le globe terrestre. On peut craindre l’épuisement des couches souterraines de combustibles qui produisent la vapeur d’eau, mais la production de l’air comprimé est assurée aussi longtemps que le soleil entretiendra la vie et le mouvement sur notre planète, aussi longtemps qu’il élèvera sur les montagnes l’eau qui en retombe en torrens et en rivières. Un jour peut-être se réalisera la conception hardie d’un savant ; toute ville située à proximité d’un cours d’eau aura son magasin de force motrice qui distribuera le mouvement, par des tubes et des robinets, aux ateliers disséminés dans les divers quartiers, de la même manière que les magasins de gaz distribuent la lumière à chaque maison.