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pendre l’exécution d’une loi. » Rien de plus élémentaire ni de plus évident que ce principe de droit constitutionnel ; mais on vit dans cette circonstance combien la légalité la mieux définie est une faible barrière contre une idée qui s’empare des esprits d’une manière absolue et exclusive, et contre une aspiration qui devient, pour parler le langage d’une dépêche célèbre, « un fait de la conscience nationale. » L’idée de la percée des Alpes avait pris ce caractère de domination absolue : elle s’imposait aux esprits comme une nécessité du développement économique du Piémont avec cet ascendant souverain qu’exerce l’idée de Rome capitale sur l’Italie entière. Devant d’aussi impérieuses aspirations, il n’est pas de loi qui tienne. On a cru que si la loi du 20 juillet 1854 n’avait pas été exécutée, c’était à cause de l’impossibilité d’appliquer l’air comprimé à la propulsion des trains sur les plans inclinés du Giovi. Cette vue n’est pas conforme à la réalité. Les trois ingénieurs se déclarèrent prêts à exécuter leur idée, et ceux qui ont suivi les expériences savent bien que la force motrice qui perce les Alpes est suffisante pour pousser un convoi sur une pente de 35 millimètres par mètre quand on voudra l’appliquer à ce travail. Si elle n’a pas reçu cette application, c’est uniquement parce qu’elle était réclamée pour une œuvre plus grande et plus vivement saisie par la pensée publique. C’est ce qui résulte de la réponse du ministre des travaux publics, M. Paleocapa, aux interpellations du député qui s’était fait le défenseur de la loi du 20 juillet 1854. « Le ministère, convaincu que la solution du problème du passage des Alpes est d’une importance immensément plus grande que celle de l’application du système de propulsion sur les plans inclinés du Giovi, a autorisé les ingénieurs à étudier sans retard la solution de ce nouveau problème. » La chambre tira bientôt M. de Cavour et le ministère qu’il présidait de l’impasse où ils s’étaient placés par la suspension arbitraire d’une loi : elle accueillit avec une satisfaction visible les résultats de la nouvelle application de l’air comprimé à la perforation du tunnel des Alpes. M. Sommeiller ne s’était pas encore expliqué à la tribune, il avait laissé parler les expériences et les hommes chargés de les suivre; mais alors, sûr de son invention, il n’hésita plus à pousser le fameux cri, l’εὕρηϰα (heureka) d’Archimède. « Aujourd’hui, dit-il, l’air comprimé est trouvé, les torrens des Alpes sont nos esclaves, ils vont travailler pour nous… Aujourd’hui les machines sont montées, elles marchent régulièrement; une fois installées au Mont-Cenis, elles marcheront non pas seulement quatre mois, mais quatre ans, sept ans, dix ans, et toujours neuves, parce que les pièces qui ne sont en contact qu’avec l’eau ne s’usent pas. » Ces paroles, qui répondaient à l’attente du parlement et du pays, furent accueillies par une ex-