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et montrer de la sorte que vous ne vouliez plus continuer de relations avec une puissance si peu civilisée, si peu intègre dans sa foi (so uncivilized, so uncertain in its faith), et dont les procédés révoltaient les sentimens de notre nation. Vous auriez pu faire tout cela sans vous placer dans la position compromettante (derogatory) pour votre honneur à laquelle vous risquez d’aboutir maintenant… » Tel était l’avis de lord Malmesbury dès le mois de juillet 1863, et depuis lors la situation n’a cessé de s’aggraver. À vrai dire, et pendant tout le cours des négociations, la Russie n’a fait que braver les puissances et redoubler d’atrocité envers la Pologne à mesure qu’elles redoublaient d’instances en sa faveur. Ainsi que le disait si bien le prince Czartoryski dans sa lettre au comte Russell, « aux notes demandant pour la Pologne une administration régulière, le gouvernement russe avait répondu par la nomination de Mouraviev, à la proposition d’une amnistie générale par des proscriptions et des confiscations en masse. Auparavant il soumettait les insurgés à la loi martiale, il en vint à mettre hors la loi la nation tout entière. » Et de même le langage de la diplomatie russe, qui pouvait d’abord sembler conciliant, n’avait pas tardé à se dépouiller de tous les ménagemens : déjà la seconde note du prince Gortchakov avait paru à l’ambassadeur de France, en cela d’accord avec son collègue de la Grande-Bretagne, « insultante et tendant à une rupture positive et immédiate. » Cette rupture ne devenait-elle pas d’une nécessité absolue après la troisième et dernière note du vice-chancelier russe, qui congédiait les intervenans d’une façon si hautaine, et n’était-ce pas là la seule conclusion tant soit peu convenable que les puissances pouvaient donner, de leur côté, à un débat si fatal ? La résolution suggérée par lord Malmesbury se recommandait, en de telles circonstances, avec d’autant plus de force qu’elle répondait assez bien au niveau moral de notre époque, à la dévotion facile que nous aimons à suivre dans le culte des grands principes ; en un mot, elle était honorable sans être héroïque.

En effet, sans imposer à l’Occident des sacrifices pénibles, sans compromettre en rien cette paix matérielle que semble de nos jours apprécier avant toute autre chose la philanthropie passablement hypocrite des heureux de la terre, une rupture positive avec la Russie, une suspension des relations diplomatiques avec le cabinet de Saint-Pétersbourg donnaient une satisfaction immédiate à la dignité, sinon à la conscience des gouvernemens, et cette mesure ménageait de plus à la Pologne la seule chance de salut que lui laissaient encore les dispositions décidément paisibles de ses tièdes champions. Assurément le rappel des ambassadeurs de France et d’Angleterre près la cour de Russie n’aurait pas empêché les Polonais d’être