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explorée au moyen de lumières promenées sur toute sa longueur pour reconnaître les fuites d’air, et nulle part la flamme n’a vacillé. On a laissé pendant vingt-quatre jours consécutifs les récipiens pleins d’air comprimé, et la perte n’a été que d’un cinq millième de la production journalière. L’air comprimé a donc un avantage immense sur la vapeur : celle-ci se condense et perd sa force aussitôt que s’éteint le feu qui l’a produite, tandis que l’air comprimé survit indéfiniment à sa cause efficiente. Ne peut-on pas conclure de ces faits que les prévisions hardies de M. de Cavour dans la séance du 19 juin 1854 de la chambre des députés de Turin sont réalisées, que le problème de l’application de l’air comprimé comme force motrice transportable à de grandes distances est désormais résolu par l’invention des trois ingénieurs?


IV.

Une autre question se présente maintenant. Il s’agit de rechercher comment l’air comprimé, qu’on a conduit au fond du tunnel, y est transformé en force de percussion et de perforation. Il est difficile au visiteur novice pénétrant dans la grande excavation des Alpes de se défendre d’un sentiment mêlé de crainte et d’orgueil en présence de cette merveille du génie et du travail. Il songe involontairement à la masse granitique qui pèse sur lui, il regarde la voûte qui peut se refermer et l’emprisonner vivant; mais il se rassure en sentant qu’il respire à l’aise, qu’il marche sur un trottoir dallé à la lumière des becs de gaz, et il peut suivre la série des travaux par lesquels passe l’excavation. Voici d’abord la section finie, ad opera finita, comme disent les ingénieurs piémontais. Elle s’ouvre par cette noble voûte en plein cintre qui, vue du dehors, est d’un effet si pittoresque. La voûte est partout revêtue, même aux endroits où la roche est vive et solide, d’une maçonnerie en blocs équarris et cimentés, et les murs qui la portent s’infléchissent par une courbe de 10 mètres de rayon, qui donne au tunnel une forme tubulaire. La largeur d’un mur à l’autre est de 7m 60, assez grande pour asseoir deux voies, un entre-voie au milieu et deux trottoirs dallés sur les côtés. Sous le sol est creusé un aqueduc qui sert à l’écoulement des eaux de filtration, au passage des tubes d’air, de gaz d’éclairage et d’eau. Sa capacité, qui est de 1 mètre de haut et de 1m 20 de large, et sa forte voûte à l’abri des effondremens assurent à l’ouvrier une retraite, un chemin de sauvetage en cas d’éboulement dans le tunnel. La vue de la section finie, de ces murs en blocs de granit qui s’infléchissent et de cette voûte qui se courbe fièrement comme pour porter la montagne, ce spectacle fait naître