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Parmi toutes les calamités causées à la Pologne par l’ingérence de l’Occident, il y en avait alors une dernière à prévoir, sans contredit la plus lamentable, et qui depuis ne s’est malheureusement que trop réalisée. En effet, les remontrances de l’Europe n’ayant abouti à rien, à aucune déclaration positive, à aucun acte, ne fût-il que moral, mais saisissable et obligatoire, il y avait à craindre que la Russie, une fois maîtresse de l’insurrection, ne s’affranchît complètement de tous ses engagemens antérieurs et même de ces promesses récentes « d’oubli et de réparation après la soumission » qu’elle n’avait cessé de prodiguer pendant les négociations, que les puissances, de leur côté, ne se crussent déliées de tout devoir envers leur protégée, et ne songeassent pas même à garantir du moins à la Pologne le statu quo ante, l’état bien précaire cependant dont elle avait « joui » avant leur intervention, si pleine de sollicitude et de désastres. En un mot, il y avait à craindre qu’après avoir tour à tour excité et abandonné la victime, on n’en vînt à étouffer jusqu’à son souvenir inopportun. Or une telle calamité n’était plus possible après une déclaration formelle comme la méditait au mois de septembre 1863 le cabinet de Saint-James. À toute conférence, à toute entrevue, à chaque transaction diplomatique, le tsar aurait nécessairement commencé par demander que le verdict fût rapporté, aurait insisté sur la restitution des titres déniés, et les puissances avaient dès lors l’occasion, se trouvaient même dans la nécessité d’exiger des garanties, de stipuler des conditions nouvelles, très modestes, si l’on veut, et conformes à la nouvelle fortune de la Pologne, mais qui lui eussent assuré en dernier lieu un minimum de sécurité et de vie, mis fin dans tous les cas au terrible régime des Mouraviev. Il est vrai que lord Palmerston croyait d’abord ou bien feignait de croire qu’une pareille déclaration serait plutôt nuisible qu’utile à la Pologne, attendu, disait-il, « que ce serait dégager la Russie de ses obligations. » Bien plus tard encore, dans la séance du parlement du 13 février 1864, le noble lord de la trésorerie reproduisait ces mêmes objections et soumettait ainsi assez étrangement à une critique rétrospective la conduite tenue par son propre collègue du foreign-office au mois de septembre de l’année précédente. « Il est parfaitement exact, disait-il, que les Polonais avec qui j’ai été en rapport, ont toujours soutenu que ce serait ce qu’il y aurait de plus important à faire dans leur propre intérêt ; mais je n’ai cessé de croire que relever le gouvernement russe de tous les engagemens, de toutes les stipulations contenus dans le traité de Vienne, ce ne serait pas un avantage pour les Polonais, que ce serait au contraire les abandonner pieds et poings liés à la merci de ceux dont ils demandent, à être délivrés. » Ce raisonnement