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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/1004

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besoin que nous éprouvons de sortir de nous et de chercher ailleurs la raison de notre existence et la loi de notre destinée. Ainsi compris, le sentiment religieux donne une élévation singulière à la vie, et l’on peut dire qu’il manque un élément de grandeur à la société qui ne l’a pas connu. Une des formes les plus générales, les plus populaires par lesquelles il se révèle, c’est ce désir que nous avons de savoir ce qui arrive de nous après la mort. Le problème de l’avenir n’est pas seulement un problème philosophique, c’est-à-dire un de ceux que se pose une curiosité savante et qu’elle étudie froidement avec les procédés ordinaires de l’esprit. Il trouble l’âme autant qu’il occupe la raison. Ce qui le prouve, c’est l’inquiétude où nous sommes tant qu’il n’est pas résolu, l’émotion et la plénitude de joie qu’on éprouve quand on croit en tenir la solution, enfin ce puissant attrait, cet élan passionné qui nous entraîne vers cet infini, de quelque nature qu’il soit, de quelque nom qu’on l’appelle, dans lequel nous pensons trouver le complément ou le terme de notre existence. Ces sentimens n’ont point été étrangers à Cicéron, et on les retrouve dans ses œuvres philosophiques. La grande doctrine du Phédon l’a séduit. Il s’est mis hautement du côté de ceux qui espèrent que l’âme ne périra pas, et il a essayé de donner des raisons plausibles de cette espérance. Les traités de la Vieillesse et de la République contiennent les pages les plus émues et les plus brillantes qu’on ait écrites sur l’immortalité depuis Platon ; mais en dehors de ses ouvrages de philosophie il ne semble plus aussi fermement convaincu de cette vérité. Nous sommes très surpris de voir qu’il l’abandonne plus d’une fois dans ses discours. Il y affirme résolument que l’âme ne survit pas au corps, et que la vie future n’est qu’une invention des sages politiques pour faire peur aux méchans des supplices éternels. Il est vrai qu’il ne faut peut-être voir dans ces affirmations que des artifices d’avocat. Il nous a dit lui-même, nous nous en souvenons, que ses plaidoyers ne contiennent pas l’expression de ses opinions personnelles, qu’il y parle le langage des circonstances et non celui de ses convictions ; mais dans ses lettres intimes rien ne le force à mentir. Là, il peut être impunément sincère. Il ne s’adresse qu’à un ami ; il ne parle plus pour les besoins d’une cause, il dit ce qui est au fond de son cœur. Comment se fait-il donc que ces espérances d’immortalité, si éloquemment exprimées dans le Songe de Scipion, ne se retrouvent nulle part dans sa correspondance ? Quand il parle en philosophe ; nous l’entendons dire que la vie ne doit être que la méditation de la mort, vita mortis commentatio est, et quand nous descendons dans sa vie par sa correspondance intime, nous voyons qu’infidèle à ses préceptes il pense rarement à la mort et jamais à ce qui doit la suivre. Ce ne sont pas cependant les circonstances qui ont manqué