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mettre en présence ces deux appréciations si contradictoires, et revenir aux « coutumes, » dont M. Burton put se croire quitte après les fatigues et l’ennui de la cinquième journée, mais qui lui réservaient une corvée tout à fait inattendue. Le 4 janvier, il fut appelé chez Addo-Kpon, le second souverain du Dahomey, le « roi des buissons » ou de la campagne, tandis que Gelele règne sur la ville. Cette dualité, qui rappelle le mikado et le taïkoun japonais, est une des curiosités d’une organisation déjà si compliquée et si peu en rapport avec celle des gouvernemens civilisés. Elle s’expliquerait, suivant une hypothèse plus ou moins hasardeuse de l’envoyé anglais, par un sentiment de dignité royale que froisserait le rôle de fermier et de marchand inhérent à l’administration directe des domaines de la couronne. Quoi qu’il en soit, l’hôte de Gelele ne crut pas pouvoir décliner l’honneur que lui faisait le roi des buissons. Il prit seulement occasion d’un léger accident (un doigt foulé parmi la bagarre des jours précédens) pour déclarer d’avance « qu’il n’entendait plus se mêler à la lutte engagée autour des cauries. » On convint, donc qu’il recevrait directement et sans combat, de la main à la main, sa part dans la distribution royale ; mais Gelele paraissait regretter beaucoup, — ce qui se comprend, — de ne plus le voir aux prises avec le révérend Bernasko, et se promettait un léger dédommagement que M. Burton n’osa point lui refuser : de là une scène qui perdrait véritablement à n’être pas racontée par le principal personnage.


« Nous fûmes appelés devant le trône. Le premier ministre me remit un bâton de chanteur (kpo-ga) et M. Cruikshank en reçut un autre, quelque peu moins argenté que le mien, après quoi nous battîmes en retraite, nos épaules pliant littéralement sous le poids de ces nouveaux honneurs. Le meu prit alors la parole pour m’informer que le roi m’avait désigné comme devant remplir auprès de lui, à titre provisoire, les fonctions de min-gan ou premier bourreau, tandis que mon compagnon officierait en qualité de maître des cérémonies. On me passa au cou un double collier de graines verdâtres, interrompues çà et là par huit cylindres de corail. Ce corail était faux, et les graines imitaient grossièrement celles du popo. M. Cruikshank et le révérend ministre furent gratifiés de décorations analogues, admirables symboles de la bouffissure et de la parcimonie africaines.

« On sait que plusieurs fois déjà Gelele avait fixé le jour où je danserais devant lui ; mais il s’était cru obligé, par un sentiment de délicatesse, à me laisser le temps de me préparer. Pour le coup, l’heure était venue. Je rassemblai ma suite devant le demi-cercle formé par les caboceers, j’indiquai le rhythme à l’orchestre, et je régalai l’assistance d’un pas seul, importé de l’Hindoustan, qui me valut des applaudissemens frénétiques, plus spécialement ceux du souverain. Mon compagnon exécuta une danse dahomienne avec une désinvolture tout à fait charmante. Vint alors le tour du révérend. Il s’assit bien en face du trône, plaça sur un second tabouret une